19 mars 2024
Pablo Maillé
Comment inventer un meilleur futur pour la psychiatrie ? Entretien avec le réalisateur Nicolas Philibert, dont le nouveau documentaire Averroès et Rosa Parks (en salles mercredi 20 mars) suit des soignants et patients de l’hôpital Esquirol, à Paris.
« C’est un peu flippant, ça fait un peu pénitentiaire. » La remarque est lâchée au tout début du film par un homme découvrant, au même moment que les spectateurs, des plans filmés au drone de l’hôpital Esquirol, à Paris. C’est ici, derrière les murs de ces bâtiments blancs et rectilignes, en bordure du bois de Vincennes, que soignants et patients atteints de troubles psychiatriques tentent chaque jour de dialoguer.
Comment établir un échange humain dans un lieu a priori si enfermant, autrefois désigné comme « l’asile de Charenton » ? L’interrogation est au cœur d’Averroès et Rosa Parks, deuxième partie d’un triptyque documentaire sur la psychiatrie française signée Nicolas Philibert en salles ce mercredi 20 mars, un an après Sur l’Adamant et quelques semaines avant La machine à écrire et autres sources de tracas, prévu pour le 17 avril prochain. Depuis le salon de son appartement parisien, le cinéaste a pris le temps de nous détailler son processus de création, ainsi que sa vision du futur de la psychiatrie. Entretien.
Usbek & Rica : Votre intérêt pour la psychiatrie n’est pas nouveau. En 1995, vous aviez notamment filmé la clinique psychiatrique de La Borde dans La Moindre des choses. Pourquoi y revenir aujourd’hui ?
NICOLAS PHILIBERT
D’une certaine manière, le monde de la psychiatrie ne m’a jamais quitté depuis 1995. Ce tournage à La Borde a marqué un tournant dans mon parcours de cinéaste, au sens où il m’a amené à réfléchir à mon travail plus que tout autre tournage. La moindre des choses m’a amené à repenser ma propre pratique, c’est un film qui m’a ouvert les yeux sur moi-même, sur le monde dans lequel on vit. Toute personne qui passe quelque temps dans un lieu comme la clinique de La Borde en ressort marqué à vie tellement c’est fort, tellement c’est vivant (selon les principes de la psychothérapie institutionnelle, soignants et patients prennent notamment en charge, de façon commune, les problèmes matériels et décisionnels, ndlr). Je ne sais pas comment l’expliquer autrement.
Plus généralement, le monde de la psychiatrie est un monde fortement contrasté, dans lequel on rencontre des figures singulières, des personnages qui reflètent non seulement l’état de la société mais aussi les tourments de l’âme humaine. C’est une des raisons qui expliquent pourquoi, tant d’années après, j’ai eu à cœur de retourner en psychiatrie.