8 mai 2021
Le 28 avril, la Cour constitutionnelle équatorienne a dépénalisé l'avortement en cas de viol. En situant cet événement dans la continuité de la légalisation de l'avortement en Argentine en décembre dernier et au milieu du renforcement des restrictions à la suite de la deuxième vague de la pandémie en Argentine, Ingrid Beck nous propose une réflexion sur les deux outils – le féminisme et l'humour – qui ont rendu l’année 2020 plus supportable et qui, finalement, se présentent comme deux discours clés pour, même dans un contexte de crise sanitaire, ne pas cesser de questionner, de défier et de mettre en échec le pouvoir établi.
Ingrid Beck est journaliste et militante féministe. Elle a fondé le magazine satirique Barcelona et a été l’une des voix qui ont appelé en 2015 à la première manifestation Ni Una Menos, qui a commencé comme un cycle de lectures pour devenir rapidement une mobilisation de masse. L’année 2020 s’est achevée sur deux nouvelles fondamentales dans ces deux domaines. Le 22 décembre, la Cour suprême argentine a rendu un arrêt en faveur du magazine susmentionné, annulant la condamnation à des dommages et intérêts dont il avait fait l’objet à la suite d’un procès civil intenté par Cecilia Pando (connue dans le pays pour être une personnalité publique qui a défendu la dernière dictature militaire) après la publication, en 2010, d’un photomontage que la plaignante considérait comme offensant pour sa personne1. Un peu plus d’une semaine plus tard, le Sénat a approuvé la légalisation de l’avortement, et le féminisme argentin a obtenu un triomphe historique2.
Le 28 avril, quelques semaines avant l’investiture du président élu Guillermo Lasso, ouvertement anti-avortement, la Cour constitutionnelle équatorienne a dépénalisé l’avortement en cas de viol. Les images des manifestations des groupes féministes, remplies de foulards verts, invitent à penser cet événement en continuité avec la légalisation de l’avortement en Argentine en décembre dernier. Le féminisme apparaît en Amérique latine comme une forme clé de contre-pouvoir, capable de transcender les frontières des partis et les frontières géopolitiques. Ainsi, alors que la deuxième vague de la pandémie de Covid-19 oblige le gouvernement d’Alberto Fernández à renforcer les restrictions dans le pays du Cône Sud, Ingrid Beck nous propose une réflexion sur deux outils – le féminisme et l’humour – qui ont rendu 2020 plus supportable et qui, finalement, se présentent comme deux discours clés pour, même dans un contexte de crise sanitaire, ne pas cesser de questionner, de défier et de mettre en échec le pouvoir établi.
Commençons par la décision de la Cour suprême en faveur du magazine Barcelona. De nombreux points de l’arrêt soulignent le caractère satirique du magazine et l’un d’entre eux fait référence au « contexte satirique » comme un genre discursif qui implique « un contrat de lecture particulier ». Comment définiriez-vous la satire en tant que genre ?
Avec Barcelona, nous avons toujours considéré la satire comme une forme de récit, comme une ressource, comme un genre. Mais je préfère parler de la satire comme une ressource, alors que la parodie, elle, me semble plus être un genre : je comprends la satire comme une ressource, un outil pour pouvoir parler de certains sujets et essentiellement pour déranger les pouvoirs en place. Il me semble que c’est l’objectif ; utiliser la combinaison de la parodie et de la satire pour offenser, pour déranger. Disons que c’est censé être humoristique, mais la satire ne fait pas nécessairement rire, elle peut aussi causer l’indignation. Elle a ce mérite. Ce n’est pas une blague, ce n’est pas censé être juste drôle. J’aime la façon dont nous a définis à l’époque, Adolfo Castelo, qui nous a « découverts » lorsque le magazine a commencé à sortir. Quatre numéros après la sortie indépendante du magazine, Castelo nous a appelés pour travailler avec lui et nous a dit que lorsqu’il nous a connus, il cherchait quelque chose comme ça, quelque chose qui, plutôt que de faire rire le lecteur, lui ferait dire : « quels enfoirés ! ». Ce sentiment, un peu de douleur, un peu d’indignation, et aussi de rire ou de ne pas prendre les choses au sérieux.