Psychiatrique. Marcel Sassolas, vous avez été, avec Jacques Hochmann, l’un des pionniers du « secteur » de Villeurbanne, qui a la caractéristique d’avoir pratiqué, au tout début des années 68, une psychiatrie dans la cité, longtemps sans lien voire en opposition avec l’hôpital. Maintenant, alors que vous êtes toujours président du conseil d’administration de l’association « Santé mentale et communautés » qui gère ces diverses structures [1], il y a plusieurs conventions avec le secteur hospitalier de rattachement à l’hôpital du Vinatier. Vous-même, semblez moins « anti » mais nous avons l’idée que certaines critiques persistent et nous aimerions connaître les filiations éventuelles entre vos réalisations et la position critique des diverses antipsychiatries des années soixante-dix.
Comment avez-vous été en lien avec l’antipsychiatrie ? Dans votre formation, votre pratique, vos conceptions ?
Marcel Sassolas. À l’époque des antipsychiatries, l’équipe de « Santé mentale et communautés » comportait une dizaine de personnes, psychiatres, psychologues, infirmiers, et un directeur administratif. Je ne crois pas que les antipsychiatres aient eu pour nous une grande importance théorique, idéologique mais ils nous ont beaucoup influencés d’un point de vue pratique.
La première fois où nous sommes allés les voir à Londres, en 1978, cela faisait 10-12 ans que je travaillais à Villeurbanne. Je n’étais pas attiré ou influencé par leurs idées, j’étais plutôt critique de leur manière de concevoir un patient comme l’expression d’un problème familial, telle qu’elle se développe dans le film emblématique Family Life de Ken Loach. On ne considère pas le patient en lui-même mais comme le symptômed’autre chose, ce qui me paraît tout aussi contestable que l’approche biologique où les troubles ne sont pas l’affaire du patient, mais quelque chose qui se passe en lui, dans ses cellules, dans son cerveau… ou encore comme la psychiatrie sociale actuelle en Italie où la société serait responsable de tout : on ne tient pas compte du fait qu’il est lui, avec sa manière à lui de répondre à des questions essentielles. Cela représente, pour moi, des façons de le déposséder… donc je n’étais pas particulièrement fasciné ou adepte de cette idéologie. Par contre j’étais très intéressé par leur audace, par le fait qu’ils osent proposer des lieux de vie en ville à ces patients : c’était aussi notre projet. Dans l’association de Villeurbanne créée depuis 1966, nous avions des consultations en ville, nous allions fréquemment à domicile, nous proposions des groupes de paroles, nous élaborions divers projets… Tout ce qui concernait la vie du patient dans la cité nous semblait un outil intéressant.
IP. Comme des alternatives à l’hôpital psychiatrique ?
MS. Oui, mais pas seulement : nous réalisions des soins en centre de crise en alternative à une hospitalisation au moment où la pathologie apparaît, mais nous proposions aussi des prises en charge relationnelles pouvant permettre une évolution de la personne dans la cité, lorsqu’il y avait moins besoin de structures médicales ou hospitalières.
Bien sûr, nous avions lu les divers livres de Cooper (Psychiatrie et anti-psychiatrie, Mort de la famille, Une grammaire à l’usage des vivants…) et Laing (Politique de l’expérience ; Soi et les autres ; Nœuds…) et nous en discutions… En même temps, des gens du groupe de patients développaient l’idée qu’il serait bien d’avoir une maison dans laquelle on pourrait se rencontrer, ou quand quelqu’un ne va pas bien il pourrait venir et puis… Pourquoi ne pas habiter ensemble ? Cela se discutait dans le « groupe du lundi » attenant à la consultation. On peut, bien sûr, interpréter ce projet comme le désir d’un lieu idéal, merveilleux, une sorte de défense contre les problèmes vécus au sein du groupe à ce moment-là ; mais nous ne nous sommes pas placés sous cet angle-là et avons décidé de soutenir les patients dans leur projet de création commune. C’est comme cela qu’est né le premier foyer du Cerisier ; avec les patients, nous nous sommes mis en quête d’un lieu, mais surtout des financements auprès de banquiers, de mécènes. Nous avons d’abord fait des demandes à la Sécurité sociale, notre interlocuteur officiel, qui ne voulait pas participer parce que, pour la région lyonnaise, tout l’argent attribué à cette psychiatrie hors les murs allait vers un seul foyer de post-cure, “la résidence Jean-Dechaume” qui était un très grand bâtiment, plutôt genre caserne, avec la conception d’une rééducation hospitalière… qui avait au moins 50 places, mais où existaient d’énormes problèmes qui conduisaient les psychiatres à ne plus s’en servir. Quand on demandait de l’argent pour des petites structures, la Sécu répondait que ce foyer n’était pas plein… donc il fallait innover mais aussi chercher de l’argent. Les patients ont participé et cela nous a beaucoup occupés pendant plusieurs années pour trouver finalement une maison, un ancien magasin que nous avons rénové. Ce qui nous importait, c’était l’idée de créer un lieu résidentiel et nous cherchions des modèles, des exemples ; le premier mouvement a été de connaître la structure qui avait été créée par Racamier, qui nous intéressait dans ses fondements théoriques. Nous sommes allés le visiter…
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