Rédigé par 126 auteurs d’une vingtaine de pays, le copieux «Dictionnaire international Bourdieu» apporte les outils qui permettent de mieux saisir la richesse de l’œuvre du sociologue.
Si on pose que la sociologie est la science humaine qui définit l’«économie générale des pratiques», alors ses «objets» sont en nombre infini : lire un journal, louer un appartement, organiser une grève, acheter un livre, sont des «pratiques», tout comme jouer au rugby, visiter une exposition, aller au temple, porter un masque, faire l’amour par téléphone, se faire vacciner ou enseigner le droit à l’université. Comment arrive-t-elle à les «traiter» ? Elle peut certes requérir le concours d’autres disciplines, la philosophie, l’histoire de l’art et de la religion, l’économie, l’ethnologie ou la science politique. Mais elle doit surtout chercher à mettre au jour les «règles» qui régissent ces pratiques collectives. Règles qui au demeurant ne sont pas celles qu’on «se donne» (je décide de faire du vélo ou d’utiliser le rasoir mécanique) mais celles qu’on «reçoit», qu’on intègre sans s’en apercevoir et sans avoir l’impression de s’y soumettre (quelles données, quels effets de mode, quels changements sociaux font que des groupes d’individus renoncent au rasoir électrique jadis plébiscité, ou déclinent en version urbaine-chic l’usage de ce moyen de déplacement du pauvre qu’était le vélo ?). L’entreprise, si elle vise toutes les typologies de pratiques, paraît démesurée : elle se trouve pourtant réalisée en grande partie dans l’œuvre de Pierre Bourdieu. De cette œuvre - faite, entre livres, articles, textes de conférences et autres, de plus de 340 publications, et amplifiée par la publication posthume de Manet : une révolution symbolique, ainsi que de plusieurs volumes de cours du Collège de France (Sur l’Etat, Sociologie générale I & II, Anthropologie économique) -, il est bien difficile de faire le tour. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a profondément transformé le paysage des sciences humaines, et continue, dans le monde entier, à alimenter la recherche, à être approfondie, amendée et, aussi, à faire l’objet de critiques, tantôt fondées, tantôt indexées à des critères plus politiques qu’épistémologiques. Il n’est donc pas étonnant qu’en plus des études critiques, qui continuent à faire florès, elle ait rendu nécessaire - événement éditorial et culturel - l’élaboration d’un dictionnaire tout entier, une «brique» de 968 pages, contenant près de 600 notices, rédigées, sous la direction de Gisèle Sapiro, par 126 auteurs venus de vingt pays différents : le Dictionnaire international Bourdieu.