PAR CHLOÉ DUBOIS PUBLIÉ LE 8 AVRIL 2020
Inégale et encore incomplète, la prise en charge de la santé psychique des patient·es se confronte à la réalité du confinement. Les droits ne sont plus tout à fait respectés, et la tension s'accumule.
L’annonce du confinement a créé la sidération. Nous avons dû revoir notre fonctionnement et mettre en place un système d’accueil et d’accompagnement complètement inédit. » Mais, selon Jean Chambry, le chef du service pédopsychiatrie du Groupe hospitalier universitaire de Paris (GHU) psychiatrie et neurosciences (1), « les bonnes idées de l’équipe sont venues très vite et nous avons pu nous réorganiser en un peu plus de 48 heures ».
Comme au GHU de Paris, la fermeture des hôpitaux de jour et la réduction de l’accueil dans les structures de soins ont bouleversé « la politique sectorielle de lutte contre l’isolement des patient·es », ajoutant « aux risques de réduction de leurs droits », selon le Syndicat des psychiatres hospitaliers (SPH). Pour son président, Marc Bétrémieux, le secteur est très conscient « des effets que peut avoir le confinement sur les personnes prises en charge. Pour cela, la plupart des services ont très vite organisé la prise en charge ambulatoire au maximum de leurs capacités, via le téléphone, des visioconférences, des consultations en urgence ou des visites à domicile si l’état de santé de la personne le nécessite. » Des orientations préconisées par le gouvernement le 2 avril – soit plus de deux semaines après le début du confinement –, « alors que les services les avaient déjà mises en place », note le docteur Marc Bétrémieux.
Pour Mathieu Bellahsen, qui dirige le pôle psychiatrique de l’unité de soins de l'hôpital Roger-Prévot détachée à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le secteur est contraint d’appliquer une « anti-psychiatrie » :
Avec la crise sanitaire, nous avons dû arrêter tout ce qui fait habituellement la matérialité du soin psychique, c'est-à-dire être avec l'autre et créer du lien. Nous avons dû remettre des barrières entre les soignant·es et les soigné·es, alors même que notre préoccupation quotidienne est de les enlever.
Pour les équipes soignantes, l’objectif est désormais de pallier au mieux ces contraintes. « Nous réalisons beaucoup d'entretiens téléphoniques, et si la personne ne répond pas, nous allons la voir, explique Mathieu Bellahsen. On a une liste active de près de mille patients, et nous réalisons une dizaine de visites par jour. » Mais les limites se font vite sentir. Si les liens qui préexistaient se poursuivent souvent sous d’autres formes, les patient·es que les équipes connaissent peu ou pas ont bien du mal à créer ce lien.
« En pédopsychiatrie, la particularité, c'est qu'il faut accompagner les jeunes tout autant que leur famille, reprend le docteur Jean Chambry, du GHU de Paris. Il s’agit de leur donner accès à certaines ressources et de soutenir leur parentalité. » Un suivi rendu d’autant plus nécessaire en ces temps de confinement, où les risques de décompensation psychique, de violences et de tensions intrafamiliales augmentent à mesure que les semaines passent.
En complément de la continuité des soins effectués par téléphone avec les jeunes patient·es, des réunions entre parents sont donc animées deux fois par semaine par un·e soignant·e. « Les parents sont très sensibles à ces initiatives, estime le chef de service. Mais il faut être pragmatique : il y a bien sûr la question des soins, mais aussi celle de la complexité du quotidien, qui peut nécessiter des interventions d’assistant·es social·es ou d’éducateur·rices. » Par ailleurs, le médecin constate que des appels de jeunes qui ne supportent plus le confinement commencent à émerger. « Certain·es expriment des idées suicidaires, sont en conflit avec leur famille, nourrissent des angoisses face à la situation épidémique ou doivent gérer des problèmes d’addiction. »
Dans ce genre de situation, des consultations au centre médico-psychologique (CMP) et des capacités d’hospitalisation ont été maintenues. Puisque, pour Jean Chambry aussi, « le téléphone a ses limites » :
Il est évidemment possible de venir consulter à l’hôpital et, en fonction de l’évaluation de l’état de santé, de procéder à une hospitalisation. La semaine dernière, nous avons admis une adolescente qui souffre d’une maladie bipolaire et qui avait arrêté son traitement un mois avant le début du confinement. Elle a complètement décompensée avec des insomnies majeures et des propos délirants.
Mais, pour beaucoup, la crainte d’une rupture dans la continuité des soins est réelle et ne cesse de s’étendre avec la prolongation des mesures de confinement.
La distanciation des soins
Comme pour les hôpitaux de jour, la fermeture des structures médico-sociales en externat a conduit les personnes habituellement prises en charge toute la journée à rentrer chez elles, sans que les familles y soient préparées. « La fermeture de la structure de mon fils m'a beaucoup angoissée, raconte Isabelle. Il est difficilement envisageable pour moi de rester seule avec lui toute la journée. Il peut avoir de graves crises qui le poussent à être très violent envers lui-même et, si on l’en empêche, envers les autres. »