PAR
DR IRÈNE DROGOU -
PUBLIÉ LE 31/03/2020
Deux études de modélisation se sont intéressées à l'effet de la distanciation sociale sur l'épidémie à coronavirus, l'une à Wuhan et l'autre à Singapour. Un prolongement du confinement dans la ville chinoise jusqu'en avril, plutôt que mars, permettrait d'éviter un deuxième pic en juin. Le télétravail et la quarantaine semblent être à prioriser sur la fermeture des écoles, la combinaison des trois restant la plus efficace.
Il ne fait aucun doute que les mesures de distanciation sont efficaces
Crédit photo : Phanie
Mise en quarantaine des cas et des proches, fermeture des écoles, télétravail, ces mesures de distanciation sont la seule arme actuellement en France pour infléchir l'épidémie de Covid-19.
Dans quelle mesure sont-elles efficaces ? Lesquelles ont le plus d'impact ? Une étude de modélisation à Singapour (1) donne des éléments de réponse dans « The Lancet Infectious Diseases ». À la question qui s'ensuit de savoir jusqu'à quand les prolonger, une étude menée dans la ville de Wuhan (2) laisse entendre dans « The Lancet Public Health » qu'il faut les poursuivre suffisamment longtemps si l'on veut éviter un deuxième pic trop précoce.
Pour les chercheurs de l'université de Singapour, il ne fait aucun doute que les mesures de distanciation sont efficaces contre le SARS-CoV-2, dans les quatre scénarios étudiés et mis en place après la détection de 100 cas dans la population : quarantaine seule, quarantaine et télétravail (défini par au moins 50 % de la force de travail exerçant au domicile pendant 15 jours), quarantaine et fermeture des écoles (pendant 15 jours) ou la combinaison des trois mesures. Au 80e jour, l'approche maximaliste se révèle être la plus efficace, puis viennent ensuite, par ordre de performance, la quarantaine et télétravail, la quarantaine et la fermeture des écoles et enfin la quarantaine seule.
Pour le Dr Alex Cook, de l'université de Singapour et coauteur de l'étude : « Ces résultats fournissent aux décideurs publics de Singapour et d'autres pays la preuve que la mise en place de mesures de contrôle peut réduire les taux de transmission locale si le déploiement est opérationnel et à temps ».
Des scénarios selon l'infectiosité et les cas asymptomatiques
Dans leurs simulations, les chercheurs singapouriens montrent que l'approche combinée pourrait prévenir une épidémie nationale pour un faible niveau d'infectiosité (taux de reproduction R0 faible à 1,5) : le nombre d'infections pourrait être diminué de 99,3 %, ont-ils estimé. Mais à des niveaux d'infectiosité plus élevée (R0 modéré à 2,0 ou R0 élevé à 2,5), les choses se révèlent plus compliquées car, même si les interventions sont efficaces, la transmission a toujours lieu : au 80e jour, il y aurait alors 50 000 cas dans la ville avec un R0 à 2,0 (diminution des cas de 93,0 %) et 258 000 pour un R0 à 2,5 (réduction de 78,2 %).
L'impact des cas asymptomatiques est une variable qui peut changer la donne. Si une proportion de 7,5 % a été retenue dans l'étude, il est possible qu'elle soit en réalité de 50,0 %, entraînant alors plus de 277 000 infections au 80e jour même avec l'intervention combinée, par rapport à 1 800 pour une référence avec un R0 à 1,5. « Alors que des proportions élevées d'asymptomatiques diminuent considérablement les effets préventifs (NDLR des mesures de distanciation sociale), la pression exercée est d'autant plus forte sur la quarantaine et le traitement des individus infectés, lequel peut ne plus devenir effectif quand le nombre de sujets infectés excède les capacités du système de soins », explique le Dr Cook.
Un retour au travail étalé dans le temps
Dans la modélisation à Wuhan, les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont évalué l'impact des mesures de restriction d'activité sur l'épidémie en cours. Selon eux, un retour au travail étagé devrait avoir lieu au plus tôt début avril, ce qui permettrait de retarder et de réduire la hauteur du pic ainsi que l'ampleur de l'épidémie à fin 2020, tout en permettant au système de soins de faire face. « Une levée prématurée et soudaine des interventions pourrait mener à un pic secondaire précoce, ce qui peut être évité par un assouplissement graduel des interventions », écrivent-ils. Quant à une possible saisonnalité du SARS-CoV-2, « les effets sont difficiles à prévoir » sans recul suffisant, le lien entre climat et Covid-19 étant « en grande partie anecdotique », est-il rapporté.
D'autres stratégies sont néanmoins possibles et mériteraient d'être modélisées pour en évaluer l'efficacité, comme le dépistage élargi mis en place en Corée du Sud, est-il relevé dans l'éditorial sur Wuhan signé par Tim Colbourn, de l'University College London. « La capacité à tester d'un pays est sans doute le goulot d'étranglement qui détermine l'efficacité d'une telle mesure », explique-t-il.
Pour Joseph Lewnard, de l'université de Californie, dans son éditorial attaché à la modélisation de Singapour, l'impact de ces mesures devra aussi se mesurer en termes socio-économiques, notamment en ce qui concerne les injustices de perte de revenus voire d'emploi : « des politiques pour prévenir ces risques sont nécessaires de façon urgente. Une attention particulière devrait être apportée à la protection des populations vulnérables, comme les sans-abri, les individus incarcérés, âgés ou handicapés, ainsi que les migrants ».
(1) J Koo et al. Lancet Infect Dis. doi.org/10.1016/S1473-3099(20)30190-6
(2) K Prem et al. Lancet Public Health. doi.org/10/1016/S2468-2667(20)30073-6
Dr Irène Drogou