Publié dans le magazine Books n° 89, mai/juin 2018. Par Mary Beard.
Encore aujourd’hui, on considère que la place des femmes est en dehors du pouvoir. Ce préjugé culturel remonte au moins à la mythologie grecque, et les solutions proposées pour faire bouger les choses sont insuffisantes. C’est la nature même du pouvoir qu’il faut repenser.
© Philipp Guelland/Getty
Le tailleur-pantalon porté par Angela Merkel est tout bonnement une tactique pour se donner une apparence plus masculine et coller au rôle de la personne de pouvoir.
En 1915, Charlotte Perkins Gilman publia un texte drôle et dérangeant intitulé Herland. Comme le suggère son titre, le livre raconte l’histoire imaginaire d’un pays de femmes – et uniquement de femmes – qui existe depuis deux millénaires dans un coin inexploré de la planète. Une formidable utopie : une société élégante et soignée, collégiale, pacifique (même les chats ont cessé d’y tuer les oiseaux), intelligemment organisée dans tous les domaines, de l’agriculture durable avec la nourriture délicieuse qu’elle procure aux services sociaux et à l’éducation. Et tout repose sur une invention miraculeuse. Au tout début de leur histoire, les mères fondatrices sont parvenues à mettre au point une technique de parthénogenèse. Les détails pratiques restent un peu obscurs, mais, depuis lors, en tout cas, les femmes donnent naissance à des bébés filles sans aucune intervention masculine. Pas de relations sexuelles à Herland.
Ce monde va être perturbé par l’arrivée de trois hommes américains : Vandyck Jennings, le gentil narrateur ; Jeff Margrave, un homme dont la galanterie va presque causer sa perte devant toutes ces dames ; et l’effroyable Terry Nicholson. Lorsqu’ils arrivent, ce dernier refuse d’abord de croire qu’il n’y ait pas d’hommes quelque part qui tirent les ficelles – parce que, tout de même, peut-on imaginer des femmes diriger quoi que ce soit ? Lorsqu’il lui faut finalement admettre que c’est bel et bien ce qu’elles font, il décrète que ce dont Herland a besoin, c’est d’un peu de sexe et de domination masculine. À la fin, Terry est expulsé sans ménagement après qu’une de ses tentatives de domination, au lit en l’occurrence, a terriblement mal tourné [lire un extrait].