L’historienne Maud Ternon plonge dans les archives judiciaires et livre une approche sociale de la déraison selon les médiévaux, qui contourne Foucault.
LE MONDE | | Par Etienne Anheim (Historien et collaborateur du « Monde des livres »)
Juger les fous au Moyen Age. Dans les tribunaux royaux en France, XIVe-XVe siècles, de Maud Ternon, PUF, « Le nœud gordien », 304 p.
L’Europe du XVIe siècle s’est délectée d’un poème épique qui peut être considéré comme le tombeau du Moyen Age, Orlando furioso, de L’Arioste (1474-1533). Cette « fureur » de Roland, qui a suscité tant de passion, est à la vérité une « folie », celle dans laquelle le héros tombe à la suite de son abandon par Angélique, sa bien-aimée. Furor et furiosussont les mots de la folie médiévale, comme Maud Ternon le rappelle au seuil de Juger les fous au Moyen Age.
Si l’ombre de Michel Foucault (1926-1984) plane sur l’ouvrage, c’est pourtant d’abord à un détour par rapport à l’héritage écrasant d’Histoire de la folie à l’âge classique (Plon, 1961) que le lecteur est invité, les procédures et les institutions judiciaires étant moins l’occasion d’entreprendre une archéologie du sujet occidental que d’esquisser une histoire sociale de la folie. En s’inspirant du sociologue Howard Becker et de sa notion de labelling (« étiquetage »), l’historienne cherche à comprendre comment une société considère qu’une personne relève de la folie à partir de pratiques concrètes, celles de la justice civile.