INTERVIEW
Dans un ouvrage à charge, Hélène Romano et Boris Cyrulnik dénoncent un recours systématique aux cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP). Au risque de psychiatriser la tristesse.
Le 25 juillet 1995, un attentat est commis à la station RER Saint-Michel, à Paris. A 17 h 30, une bombe explose au bord d’une rame du RER B. Le bilan sera lourd : huit morts et plus de 100 blessés. Le lendemain, Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d’Etat à l’Action humanitaire d’urgence, se rend avec le président Chirac à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Pour lui, l’évidence est là : si les blessures physiques de ceux qui ont été touchés par l’attentat ont bien été prises en charge, leur souffrance psychique est restée comme «occultée». Ce jour-là, il convainc Jacques Chirac de créer un organisme consacré aux blessés psychiques : ainsi vont naître les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), sortes de Samu des syndromes post-traumatiques.
Vingt ans plus tard, en ce mois de juin, Xavier Emmanuelli fait ce constat : «Ce qui n’est pas dit aujourd’hui, c’est que cet outil est mal utilisé […]. Dès qu’il y a le moindre trouble, le moindre incident, on met en place des CUMP.» Il évoque même un «syndrome de la cellule d’urgence», dans un ouvrage à charge intitulé Je suis victime : l’incroyable exploitation du trauma (1), qui n’hésite pas à évoquer la «fashion victime» dont la France est atteinte. Aux commandes de ce livre, écrit à plusieurs mains rageuses, Hélène Romano, qui a coordonné pendant onze ans la cellule d’urgence médico-psychologique du Val-de-Marne, et Boris Cyrulnik, neuropsychiatre connu entre autres pour ses travaux sur la résilience.