LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Propos recueillis par Catherine Mary
Margaret Lock est anthropologue à l’université McGill de Montréal. Ses études sur la ménopause des femmes japonaises, menées dans les années 1980, ont été couronnées de plusieurs prix dont le prestigieux prix Staley de l’Ecole de recherche américaine. C’est à partir de ce travail que la Canadienne a forgé le concept de « biologie localisée », à l’origine d’un nouveau courant de l’anthropologie médicale. Visant à étudier les variations du corps humain en relation avec son environnement social, culturel et économique, ce courant est en plein essor, sous l’impulsion des découvertes en épigénétique – discipline qui entend décrire l’influence de l’environnement, au sens large, sur l’expression du programme génétique.
Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont le plus récent, The Alzheimer Conundrum (Princeton University Press, 2013), explore la frontière ténue entre le vieillissement et la folie, en revisitant le thème philosophique du normal et du pathologique.
Invitée à Genève pour un colloque de sciences humaines organisé par la Fondation Brocher sur le thème « Epigénétique et environnement », elle s’inquiète des implications politiques des études en épigénétique. Avec l’ensemble des participants du colloque, elle lance un appel à la collaboration entre chercheurs en sciences sociales et épigénéticiens, afin que soit mieux prise en compte la complexité des interactions entre génome et environnement.
Vous êtes à l’origine du concept de « biologie localisée », forgé à la suite des études que vous avez menées au Japon sur la ménopause. Pouvez-vous développer ?
Ces études m’ont permis de montrer que, si la ménopause survient au même âge chez les femmes japonaises et chez les femmes nord-américaines, certains symptômes qui lui sont associés diffèrent. Les bouffées de chaleur ou les suées nocturnes sont moins fréquentes chez les femmes japonaises que chez les femmes vivant au Canada et aux Etats-Unis, au même titre que l’ostéoporose, les maladies cardiaques et le cancer du sein, comme cela avait été montré précédemment. La perception de la ménopause diffère également : le terme employé dans la langue japonaise évoque une évolution vers une période de vie plus spirituelle, et la fin des menstruations n’en est qu’un élément, une vision positive très différente de la nôtre.