C’est avec un bel aplomb que nos sociétés rangent Nietzsche, Van Gogh, Antonin Artaud, Janet Frame, dans la catégorie des « fous », suggérant par là même que ces êtres humains d’exception auraient à envier aux citoyens ordinaires leur saine relation à l’existence ! Il est vrai que, suite à un débordement compassionnel qui le poussa à se jeter au cou d’un cheval maltraité, Nietzsche finit sa vie dans un état proche de l’hébétude. Et le comportement de Van Gogh pouvait sans doute témoigner d’une certaine « fragilité mentale ». Antonin Artaud n’en écrit pas moins : « On peut parler de la bonne santé mentale de Van Gogh qui, dans toute sa vie, ne s’est fait cuire qu’une main et n’a pas fait plus, pour le reste, que de se trancher une fois l’oreille gauche » ! Ce qui, d’après Artaud, comparé à l’état anormal d’un monde bourgeois qui cultive le « mépris crasseux de tout ce qui montre race », ne correspond somme toute qu’à l’état d’exaspération d’un esprit plus sensible que la moyenne aux ravages de ce monde.
Dans cette perspective, la « pathologie » de certains « malades mentaux » renvoie en fait à la conscience aiguë de ce qui les empêche d’exister. En admettant qu’il faille tenir pour acquis que Van Gogh est mort suicidé, ce serait à la société qu’il faut en imputer la responsabilité plutôt qu’à une décision de Vincent. « Ameutant la vie », suivant l’expression employée par ailleurs par Artaud, dans ses profondeurs telluriques, Van Gogh serait, d’après le poète, instigateur d’un monde où elle se remettrait à chanter ! Ce qui, au regard de la psychiatrie, aurait été insupportable !
Ainsi, la juxtaposition, proposée par le Musée d’Orsay au printemps 2014, des tableaux du peintre et des textes du poète, qui lui rendit hommage dansVan Gogh, le suicidé de la société, invitait-elle non seulement à une réflexion sur les rapports entre folie et société, mais plus radicalement, entre folie et existence.