Les opioïdes, d’un excès à l’autre ?
Après avoir longtemps sous-utilisé les opioïdes pour la prise en charge de la douleur chronique, est-t-on en train de tomber dans le travers inverse ? Des travaux américains présentés lors du récent Congrès mondial de la douleur posent en tout cas la question. Une 14e édition également riche en communications sur les mécanismes des différentes douleurs et leur perception par les patients.
L’OMS et les sociétés savantes se sont battues à juste titre pour un emploi plus large des opioïdes forts dans le traitement de la douleur. Mais au-delà de ses bénéfices, l’utilisation larga manu des opioïdes dans la douleur chronique non cancéreuse peut aussi se révéler dangereuse comme en témoignent les dérives observées outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, l’usage de ces molécules s’est, en effet, très largement développé dans ce contexte, avec des indications pas toujours conformes aux recommandations. D’où l’émergence d’un réel problème d’addiction aux opioïdes forts comme l’a souligné le Dr Mark Sullivan (département de Psychiatrie, université de Washington) lors du 14e congrès mondial de la douleur*. Selon une étude menée par ce spécialiste, les médecins américains ont la prescription facile et ne semblent pas hésiter à proposer très vite un opioïde en cas de forte plainte douloureuse, et sur le long terme.
De plus, outre-Atlantique, contrairement à ce qui est inscrit dans les guidelines, ce sont les patients avec des tendances addictives ou des désordres mentaux qui reçoivent le plus facilement une thérapie opioïde à long terme et à forte dose, accompagnée de sédatifs-hypnotiques.
Un paradoxe dénoncé par le Dr Sullivan. La prescription d’opioïdes, sans une sélection?rigoureuse des patients, conduit à une forte proportion de phénomènes d’addiction, souligne ce spécialiste. Et de dénoncer des erreurs de sélection avec « des prescriptions à haut risque, chez des patients à haut risque ».
Un danger qui pourrait gagner la France ?
Autre difficulté sur laquelle insiste le Dr Sullivan : « Après quelques mois sous opioïdes, il est difficile chez les patients de faire la différence entre efficacité et/ou dépendance ». Le médecin doit arrêter – progressivement – les opioïdes forts lorsqu’il n’objective pas de réel soulagement de la douleur sur des objectifs préalablement définis mais plus une action psychostimulante comme une impossibilité de s’en passer pour être actif chez eux… Si l’on n’a pas repéré cette dépendance rapidement, la diminution après quelques mois de l’effet antalgique peut-être un indice.
Les médecins français semblent plus prudents, ce qui n’empêche pas que ces dérives apparaissent depuis peu à leur tour dans l’Hexagone mais les études manquent pour objectiver le phénomène.
*Session PL 05/aug 29/12- Opioid therapy for chronic non-cancer pain : promise and peril et Arch Intern Med. 2012 Jul 23 ; 172 (14): 1110-4.
Dossier réalisé par Hélène Joubert