Pour la santé, collectifs et associations espèrent un retour à des « valeurs plus humanistes »
12 mai 2012 | Par Sophie Dufau - Mediapart.fr
Du quinquennat de Nicolas Sarkozy, ils retiennent « la casse du service public hospitalier » et l'abandon d'une éthique de la médecine au service des plus faibles ou des plus vulnérables. Durant ces cinq années, ils se sont organisés en collectifs, ont rédigé desmanifestes, des pétitions ou destribunes, organisé des meetings pour le dénoncer. En dehors des syndicats de médecins, d'infirmières, de praticiens, ils ont voulu faire porter leur voix, plus haut et plus fort que les instances représentatives. À l'heure de l'alternance, nous nous sommes tournés vers André Grimaldi, professeur à la Pitié-Salpêtrière (Paris) et coauteur duManifeste pour une santé égalitaire et solidaire publié à l'automne dernier, vers Jérôme Martin, militant à Act Up, et Mathieu Bellahsen, psychiatre de secteur, membre du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, pour connaître leurs principales attentes.
Dans l'immédiat, l'urgence est de faire baisser le prix des soins et revenir à une idée plus égalitaire de la santé : avant la loi sur le financement de la sécurité sociale qui sera débattue à l'automne à l'assemblée, « il faut ouvrir au plus vite une négociation avec les mutuelles et les assurances complémentaires pour augmenter le taux de remboursement de la sécurité sociale et pérenniser notre système de santé », estime André Grimaldi. Aujourd'hui, les mutuelles « sont un lobby très puissant et elles se satisferaient naturellement d'une sécurité sociale qui ne rembourserait, en schématisant à gros traits, que les très pauvres et les très malades, leur laissant tout le reste ». D'essence complémentaires, elles en deviendraient alors nécessaires.
« Il faut abolir les franchises médicales et les taxes sur la santé,estime de son côté Jérôme Martin d'Act Up.Sur ce point, François Hollande ne s'est jamais franchement prononcé, mais les franchises peuvent s'élever à 50 euros par an et par malade pour les médicaments et 50 euros supplémentaires par an et par malade sur les forfaits hospitaliers. Outre que cela est une rupture avec le principe de solidarité de la sécurité sociale, ces franchises sous-tendent que ce sont les plus malades qui coûtent le plus cher à la sécu, qu'ils seraient les responsables du déficit. Ce qui est faux. »
Pour ne pas creuser le déficit de la sécurité sociale (estimé à 14 milliards d'euros en 2012), André Grimaldi voit trois décisions à prendre : « 1/ Diminuer les prix des médicaments et, en particulier pour les génériques, les diviser par deux. On pourrait par exemple s'aligner sur les prix pratiqués en Angleterre. Rien que cela permettrait d'économiser un milliard d'euros. 2/ Il faut taxer les producteurs de tabac. Aujourd'hui, toutes les augmentations du prix des cigarettes sont supportées par le consommateur. Il y a un gisement de 7 milliards d'euros sur ce que les producteurs encaissent, qui pourrait servir à la prévention. 3/ Profiter d'une réforme fiscale pour augmenter les recettes de la sécurité sociale en supprimant la moitié des niches sociales (là encore, il y a un gisement de 35 milliards d'euros) et faire une CSG progressive. »
Dans les propositions du candidat Hollande, il y en a une qu'ils surveilleront particulièrement : le développement de la médecine de proximité, à même de pallier l'engorgement des services d'urgence hospitaliers et la désertification médicale dans certaines parties du territoire national. Une médecine de proximité qui renouerait avec des valeurs d'égalité et de justice. Pour André Grimaldi, il faut créer « un service public de la médecine de proximité, comme il existe un service public hospitalier, même s'il a été bien abîmé. Ce service public de la médecine de proximité ferait travailler ensemble des médecins de secteur 1 (conforté et revalorisé), des infirmières, des travailleurs sociaux ».
Pour Mathieu Bellahsen, psychiatre, il faut « réaffirmer qu'en psychiatrie, l'organisation des soins, et leur déploiement sur le territoire, s'organise autour du secteur. Non pas entendu comme une entité administrative, un découpage territorial, mais comme une entité clinique : une même équipe sur un même territoire qui soigne tous les patients, sans faire de tri entre pathologies. Il n'y a qu'ainsi que l'on peut assurer un réel suivi des malades, un véritable maillage des soins ».
La fin de l'hôpital-entreprise
Ceci suppose une tout autre logique gestionnaire. « Il faut admettre que les critères de rentabilité ne doivent pas être la seule manière de gérer un établissement de soins », poursuit Mathieu Bellahsen. François Hollande l'a dit : un hôpital n'est pas une entreprise, et ne peut être géré comme tel. Marisol Touraine, en charge de la santé, de la dépendance et des retraites dans l'équipe du candidat PS, et régulièrement citée parmi les ministrables, affirmait récemment dans un entretien à Mediapart qu'au pouvoir, le PS supprimerait « la convergence entre établissements publics et établissements privés, car le privé ne porte pas la responsabilité de la formation, de la recherche, ou de l’accueil de tous les publics à toute heure du jour et de la nuit ».
Une déclaration dont prennent acte André Grimaldi et Mathieu Bellahsen, qui souhaiteraient pourtant que le prochain gouvernement aille plus loin avec la suppression de la tarification à l'acte, la T2A (devenue VAP en psychiatrie, pour “valorisation à l'activité en psychiatrie”) qui aujourd'hui détermine les budgets des établissements (tout acte est codé, chiffré, et l'ensemble des actes prévus par un établissement détermine la somme qui lui est allouée). « La T2A ne permet pas d'optimiser les soins, explique André Grimaldi. Selon nous, cette technique de financement des hôpitaux n'est envisageable que pour des actes standardisés comme une dialyse par exemple. À côté, il faudrait parler en budget pour toutes les maladies chroniques et les urgences, et en prix de journée pour les soins de fin de vie où l'on manque dramatiquement de lits. Mais, au-delà, le grand danger de la T2A, c'est la primauté du management sur les soins. À Strasbourg, par exemple, un poste de technicien de soins s'est transformé en poste de codage des soins. Ce n'est pas en transformant les techniciens en codeurs qu'on améliore la qualité. »
Plus généralement, faire confiance aux professionnels et aux usagers serait déjà un changement considérable. « L'État Sarkozy nous a transformés en suspects permanents, raconte Mathieu Bellahsen. Ça ne concerne pas que la médecine d'ailleurs, cette méfiance touche aussi les enseignants, les chercheurs… Concrètement, dans l'Essonne où j'exerce, le travail avec la préfecture est devenu plus en plus difficile. Il faut par exemple des tonnes de justificatifs pour obtenir une autorisation de sortie de l'hôpital pour un patient. » Mathieu Bellahsen dont le Collectif s'est formé en décembre 2008, en réaction au discours de Nicolas Sarkozy assimilant les patients en psychiatrie à des “fous dangereux”, fait allusion à la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement, qui oblige à se tourner vers un juge des libertés pour prolonger l'hospitalisation au-delà de 15 jours et qui permet surtout de contraindre des personnes à des soins, en dehors de l'hôpital. « Cette loi est comme un miroir grossissant du pacte social que Nicolas Sarkozy nous a proposé pendant cinq ans et que la gauche ne peut plus tolérer. »
Selon lui, il faut donc engager une concertation avec les usagers, leurs familles et les professionnels, s'appuyer sur les savoirs de terrain, pour redéfinir les soins sous contraintes. « En sachant que si l'on peut hospitaliser sous contrainte, que si c'est parfois nécessaire pour protéger la personne ou les autres, ce n'est pas un soin. Ce ne sont pas nos mots, nos principes, nos valeurs. »
Partir du terrain, des initiatives qui ont fait leurs preuves pour les développer, voire légiférer, c'est ainsi qu'André Grilmadi souhaite voir travailler le nouveau gouvernement : « Il faudrait mettre en place des états généraux décentralisés, avec les acteurs concernés, les patients, la population, les élus, afin de développer la démocratie sanitaire. Il faut partir de ce qui marche pour le généraliser. Par exemple, en région parisienne, il y a des médecins généralistes qui se sont associés avec des infirmières pour soigner des malades chroniques. Il y a aussi des maisons médicales qui fonctionnent. Il faut partir de ce qui marche aussi dans le service public hospitalier, pour articuler les soins à l'hôpital et les soins en ville. »
Remettre l'accent sur la prévention
Plus généralement, et parce que la santé n'est pas qu'une question médicale mais aussi sociale, ces collectifs et associations en appellent à un retour à des valeurs plus humanistes. Ainsi, pour Jérôme Martin d'Act Up, il faut « suspendre l'interdiction des soins funéraires pour personnes contaminées au VIH imposée depuis un arrêté de 1999, appliquer la suspension de peine pour des détenus gravement malades, ouvrir l'accès à la couverture mutuelle universelle aux sans-papiers ».
Pour André Grimaldi, il faut à nouveau concentrer tous les efforts sur la prévention. « Concernant la mortalité évitable, à savoir le nombre de personnes qui meurent avant 65 ans en raison des méfaits du tabac, de l'alcool…, la France est avant-dernière dans le classement européen, juste devant la Pologne. » Et plus généralement, depuis quelques années, le taux d'espérance de vie en bonne santé recule en France, selon les chiffres de l'Insee : autrement dit, si l'on vit de plus en plus vieux, on vit moins longtemps sans incapacité. « Dans le manifeste, nous avons suggéré que le budget de la santé consacré à la prévention passe de 7 à 10 % en cinq ans. »
Reste que si la santé est une des priorités des Français, « il n'y a pas de consensus dans la profession sur les grandes réformes à engager », poursuit André Grimaldi. « Même si les dépassements d'honoraires – déclarés… – se sont élevés à 2,5 milliards d'euros cette année, il y aura toujours des médecins qui défendront le secteur 2. Il y en aura toujours pour mettre en avant le “colloque singulier” entre le médecin et son patient pour refuser de travailler en liaison avec d'autres. Il y en aura toujours qui défendront les lits privés à l'hôpital public… Mais comment justifier que, pour avoir rendez-vous avec un cancérologue ou un pédiatre, en gros lorsque l'on est face à la mort ou lorsqu'il s'agit de la santé de son enfant, il faut, pour se faire soigner plus vite, payer plus ! »
Côut de la santé, discrimination, accès égal pour tous… Autant de principes éthiques qui vont au-delà des revendications catégorielles que porteront les syndicats, mais que chacun espère faire entendre en continuant à mobiliser l'opinion publique autour d'eux.
- Voir aussi sous l'onglet Prolonger, la vidéo extraite d'une soirée Mediapart 2012 avec le médecin André Grimaldi et Loriane Brunessaux, psychiatre et membre du Collectif des 39.