SDF : la Cour des comptes critique les lacunes de la politique d'hébergement
LEMONDE.FR avec AFP | 15.12.11
La Cour des comptes dénonce les insuffisances et incohérences de la nouvelle politique lancée en 2009 pour l'hébergement des sans-abri, dont la population a explosé en dix ans, dans un rapport publié jeudi 15 décembre. "En dix ans la population des sans-abri s'est considérablement accrue", passant de 85 000 à 150 000 personnes, note la cour, avec une population désormais composée de familles, d'étrangers, de jeunes, voire de personnes qui travaillent.
Certes, "les pouvoirs publics ont pris la mesure de ces évolutions" en engageant des réformes à partir de 2007, comme l'introduction du droit inconditionnel à l'hébergement, l'adoption du principe du "logement d'abord" privilégiant la recherche d'une solution pérenne, ou la hausse des capacités d'hébergement, souligne le rapport. Toutefois, "les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous", a commenté jeudi le président de la Cour des comptes Didier Migaud, devant un comité de l'Assemblée nationale, en formulant cinq critiques principales.
COORDINATION ET PRÉVENTION INSUFFISANTES
"L'accueil des personnes sans domicile souffre encore d'une insuffisante organisation et coordination", et "l'accès au logement, un des axes stratégiques de la politique du 'logement d'abord', souffre d'une offre insuffisante dans les zones où les besoins sont les plus massifs", a affirmé M. Migaud.
La cour estime en outre que "de nombreuses mises à la rue pourraient êtreévitées par une politique de prévention plus efficace". Par ailleurs, "la politique de l'hébergement des personnes sans domicile a été élaborée par l'Etat sans que celui-ci se soit donné les moyens d'une meilleure connaissance des personnes concernées", a déploré M. Migaud. Enfin "les acteurs demeurent trop nombreux et insuffisamment coordonnés, et les relations entre l'Etat et ses partenaires associatifs restent encore très largement perfectibles", a-t-il regretté.
"L'enjeu des prochains mois", a-t-il conclu, sera d'"optimiser l'allocation des moyens pour permettre au secteur de l'hébergement de répondre à l'obligation d'accueil inconditionnel des personnes sans domicile que lui impose la loi et à la mise en place d'un véritable service public de l'hébergement".
PAS D'AUGMENTATION DE L'HÉBERGEMENT D'URGENCE
Les crédits publics consacrés à l'hébergement sont d'environ 1,5 milliard d'euros, selon la Cour des comptes. Dans un communiqué, le secrétaire d'Etat au logement Benoist Apparu et sa ministre de tutelle Nathalie Kosciusko-Morizet disent "partager" certains constats de la cour, tout en rejetant la suggestion d'augmenter les capacités d'hébergement d'urgence dans les zones urbaines à forte demande.
"Le gouvernement s'appuiera sur les recommandations de la cour qui l'encouragent à aller plus vite et plus loin sur des chantiers déjà lancés", notamment "le développement de l'intermédiation locative" ou "la participation des usagers à la définition des mesures qui les concernent".
En revanche, M. Apparu et Mme Kosciusko-Morizet "ne partagent pas la recommandation formulée par la cour d'augmenter encore les capacités d'hébergement en zones tendues", soulignent-ils, en arguant qu'"il est possible de limiter la demande par la prévention et de mieux y répondre par l'accélération des sorties vers le logement". "La réponse à l'augmentation de la demande ne peut pas résider dans une croissance continue de l'offre", concluent les deux membres du gouvernement.
L'hébergement d'urgence dans une crise de moyens
| 15.12.11
La recommandation est suffisamment inhabituelle pour être soulignée. Dans un rapport d'évaluation sur "la politique publique de l'hébergement des personnes sans domicile", rendu public jeudi 15 décembre, la Cour des comptes, garante de la bonne utilisation des deniers publics, préconise, à mots feutrés, de mettre plus d'argent en faveur de l'hébergement d'urgence : "Il n'apparaît pas déraisonnable de se donner les moyens de créer des places (d'hébergement) supplémentaires en zones tendues. En effet, la situation traditionnelle et inconfortable dans laquelle l'offre d'hébergement court en permanence après la demande d'hébergement n'a pas été encore interrompue, malgré des résultats importants en termes de sorties vers le logement."
Ce constat intervient à l'issue de près de 250 pages d'analyse de la "stratégie de refondation" du secteur annoncée en novembre 2009 par Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au logement. Cette réforme a pour ambition de sortir d'une logique saisonnière de gestion de crise et de favoriser la sortie vers un logement durable. Elle s'appuie sur deux piliers : la mise en place d'un service public de l'hébergement et de l'accès au logement, et le développement d'une offre de logement accessible aux personnes modestes. Entre 2004 et 2010, le nombre de places est passé de 51 103 à 82 890 (+ 62,2 %). Mais le constat de la Cour est clair : "Les résultats escomptés ne sont pas encore atteints."
Demandé par le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, sur proposition du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques du Parlement, le travail de la Cour pointe en filigrane les lacunes et blocages d'une politique dont l'objectif premier est le "logement d'abord". Première faiblesse : la "stratégie de refondation" a été définie et mise en oeuvre à partir de données statistiques obsolètes et d'études fragmentaires sur la population des sans-abri. Or cette population a non seulement beaucoup augmenté en dix ans - elle avoisinerait aujourd'hui les 150 000 personnes -, mais elle s'est aussi profondément transformée. Selon un rapport à paraître de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), basé sur les statistiques annuelles du 115, le numéro d'urgence d'aide aux sans-abri, les demandes d'hébergement émanent désormais pour moitié de familles avec enfants. A Paris et en région parisienne, celles-ci peuvent représenter jusqu'à 80 % du public du 115. Quant aux jeunes, au niveau national, leur proportion est passée entre les hivers 2009-2010 et 2010-2011 de 8 % à 11 %.
La réforme n'a pas non plus permis d'améliorer l'orientation des personnes sans abri, jugée encore "très imparfaite" par la Cour des comptes. Les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui devaient permettre dans chaque département de mieux coordonner l'offre et la demande et de suivre les personnes dans leur parcours d'insertion dans le logement, fonctionnent peu ou mal. "Sur beaucoup de territoires, les SIAO ont bien été mis en place mais les anciennes habitudes de travail ont perduré, confirme Matthieu Angotti, directeur général de la Fnars. Dans le pire des cas, ce sont même des coquilles vides."
Autre problème non résolu, celui de la saturation du 115. Toujours selon l'étude de la Fnars, plus de la moitié des demandes d'hébergement faites le jour même ne donnent pas lieu à l'attribution d'une place. Dans certains départements, les non-attributions peuvent même atteindre de 60 % à 65 %. L'absence de places disponibles est le principal motif de refus. Le recours aux nuitées d'hôtel ne cesse d'augmenter. Leur nombre a doublé depuis 2004. Or, souligne la Cour des comptes, cette solution "n'est pas conforme aux objectifs de la politique menée depuis 2007. Par ailleurs, leur coût pour le budget de l'Etat est particulièrement élevé (93 millions d'euros en 2010)." Le gouvernement a tablé un peu trop vite sur les résultats de sa réforme et sur les économies qu'elle pourrait engendrer."Les mesures prises pour accélérer les sorties vers le logement sont longues àmettre en place et ne peuvent pas alléger à court terme la pression sur le dispositif d'hébergement", avertissent les experts de la rue Cambon.
La mise en oeuvre de la "stratégie nationale" laisse aussi apparaître des lacunes en termes d'organisation et de pilotage. " Le délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement (Dihal) chargé du pilotage administratif central ne dispose pas des moyens de sa mission", souligne la Cour. A la décharge de l'Etat, la Cour note que le déploiement de la réforme est intervenu dans une période difficile. La crise, qui a mécaniquement entraîné une augmentation forte des demandeurs d'hébergement (ménages précaires et demandeurs d'asile) a saturé un dispositif pourtant en forte augmentation. Enfin, au niveau local, le projet gouvernemental a souffert de la réforme concomitante de l'administration territoriale, qui a modifié l'organisation des services départementaux, principaux rouages de la mise en oeuvre du plan gouvernemental.
Catherine Rollot"Aux enfants, j'explique que l'on n'a pas de maison"
REPORTAGE | | 15.12.11
C'est une "chambre avec vue". Au loin, la silhouette massive du "Palacio d'Abraxas", un ensemble de logements sociaux d'inspiration néo-grecque de l'architecte catalan Ricardo Bofill. Au premier plan, les coursives du RER A, avec leur mobilier urbain en mosaïques multicolores défraîchies. A deux pas de la station Noisy-le Grand - Mont d'Est (Seine-Saint-Denis), se dresse l'imposante barre de Noisy Résidence, un ancien deux-étoiles sans caractère.
Depuis un mois, Mme D. (qui a réclamé l'anonymat) et ses deux enfants vivent dans une chambre, avec coin cuisine et salle d'eau. Un hébergement trouvé via le 115, le numéro d'urgence des sans-abri. Avant Noisy Résidence, la petite famille a connu d'autres hôtels à Paris ou en région parisienne, huit en tout en dix mois. Et une fois de plus, elle est arrivée ici "sans savoir combien de temps, elle allait rester".
Originaire du Cameroun, Mme D. est en France depuis fin 2010. Comme tant d'autres, elle croyait à la vie meilleure que lui avait fait miroiter un Congolais, rencontré en Espagne où elle vivait alors. La maison, le travail promis... n'étaient que des miroirs aux alouettes. La vie parisienne se résume à une minuscule chambre où elle doit s'entasser avec son fils de 2 ans né d'une première union, son compagnon et trois autres personnes. Très vite, le couple bat de l'aile. Les disputes et les menaces pleuvent. "Un jour, j'ai pris mon fils et je me suis enfuie", raconte Mme D. Sans papiers et sans aucune ressource, la mère de famille se réfugie dans un jardin public. "Un couple de Français m'a mis en contact avec une de leurs amies qui m'a logée pendant quelque temps."
Enceinte d'un deuxième enfant, elle se retrouve ensuite dans un premier hôtel, à Alfortville (Val-de-Marne). "C'était un peu négligé, explique la jeune femme. J'y allais juste pour dormir." Le séjour est renouvelé au gré des places disponibles. Trois jours ici, deux jours ailleurs. "Les bagages étaient vite faits. Je n'avais rien."Après son accouchement, il faut trouver un autre hôtel, toujours par le 115. Cette fois-ci, elle est logée "tout au bout du RER A". "Il y avait plein de familles qui vivaient là. Les gens étaient solidaires mais je déprimais", raconte-t-elle.
MAIGRE PAQUETAGE
Après un mois sur Paris, elle se retrouve cette fois à La Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Une semaine. Son bébé est hospitalisé pour une allergie. A son retour, il lui faut trouver une autre chambre. Ce sera dans le quartier de Belleville à Paris, puis Noisy-le-Grand.
A cette vie de nomade, elle dit s'être presque habituée : "Je me prépare à l'idée que c'est encore du provisoire, dit-elle. Aux enfants, j'explique que l'on n'a pas de maison."
Aujourd'hui, sa fille a 8 mois, son fils âgé de tout juste 3 ans n'est pas encore scolarisé. Entre les quatre murs de la chambre, le petit bonhomme tourne en rond. "Il veut aller à l'école, ça lui manque de ne pas être avec d'autres enfants", poursuit la jeune femme.
Ne disposant d'aucun moyen financier, Mme D. ne peut compter que sur les Restos du coeur pour subvenir à ses besoins. "Ici, rien ne m'appartient", raconte-elle, en jetant un regard dans toute la chambre. Seuls quelques jouets et des vêtements, eux aussi donnés par des associations caritatives, constituent son maigre paquetage. "Les journées sont si longues", soupire Mme D.
Ici, comme elle, derrière les portes vertes des chambres, d'autres personnes s'installent, patientent, espèrent une réponse positive, un papier officiel, un titrede séjour régulier... attendent.
Noisy Résidence n'est pas un mauvais garni. L'ensemble est bien entretenu. Le Samu social a réservé les 159 chambres de l'hôtel pour héberger des familles qui ne trouvent pas d'autres solutions, faute de place ou de structure adaptée. L'Etat, qui finance à plus de 90 % le Samu social, règle la facture. Entre 15 et 18 euros par personne et par nuit.
Dans le hall d'entrée de Noisy Résidence, la décoration de Noël a été installée. Un sapin trône au milieu des canapés en skaï rouge. Sur les murs, trois horloges indiquent l'heure de Paris, New York et Moscou. Une petite touche internationale comme pour rappeler que l'hôtel, d'habitude, c'est synonyme de vacances, ou de voyage.
Catherine Rollot