Soins de santé mentale : les grands oubliés
Compte rendu
10.10.11
Dépression, épilepsie, démence, troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives : à un moment ou à un autre de sa vie, une personne sur quatre dans le monde aura besoin de soins de santé mentale ou neurologiques, estime l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourtant, la plupart des pays ne consacrent à ce secteur qu'à peine 3 % des ressources destinées à la santé, quand environ 13 % seraient nécessaires. Un manque d'investissement jugé inquiétant par l'agence des Nations unies, qui a publié, lundi 10 octobre, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, un état des lieux des services de soins psychiatriques dans cent quatre pays.
Selon ce nouvel Atlas de la santé mentale - le dernier datait de 2005 -, près de la moitié de la population mondiale vit dans des pays où il n'y a pas plus d'un psychiatre pour 200 000 habitants. Quand ce n'est pas pour un million d'habitants, comme dans nombre de pays pauvres. De même, alors que les dépenses pour la santé mentale sont globalement inférieures à 2 dollars (1,5 euro) par personne et par an, elles tombent à 0,25 dollar dans les pays à faible revenu.
Selon l'OMS, plus de 75 % des personnes atteintes de troubles mentaux ou neurologiques (dont 95 millions souffrant de dépression) dans les pays en développement ne bénéficient d'aucun traitement. Et quand soins il y a, ce sont pour l'essentiel des soins à long terme en milieu hospitalier.
"A l'heure actuelle, 67 % des dépenses de santé mentale vont aux institutions psychiatriques", précise le docteur Ala Alwan, sous-directeur général chargé des maladies non transmissibles et de la santé mentale à l'OMS.
"Si les pays dépensaient davantage au niveau des soins primaires, ils pourraient atteindreplus de gens et commencer à s'attaquer aux problèmes suffisamment tôt pourréduire les besoins en soins hospitaliers, plus coûteux." Pénurie de ressources et de compétences oblige, les malades ne sont souvent traités que par des médicaments, quand des soins psychosociaux seraient aussi nécessaires.
Seul indicateur positif : comparé à 2005, le nombre de lits psychiatriques semble
diminuer dans la plupart des pays,
"ce qui laisse supposer une baisse des soins institutionnels au profit des soins communautaires", estime l'OMS. Si beaucoup reste à
faire, le Programme d'action mondial pour la santé mentale (mhGAP), lancé en 2008 par l'OMS pour
aider ses membres à
développer la prise en charge des troubles mentaux et neurologiques, n'en commence pas moins à
porter ses fruits dans certains pays, où sont observés
"des progrès notables".
L'Ethiopie et le Nigeria ont ainsi commencé à
former leurs personnels de santé au dépistage et au traitement des principaux troubles mentaux. La Chine a élargi son programme de soins contre l'épilepsie à dix-neuf provinces, où plus de 40 millions de personnes en bénéficient. La Jordanie a lancé un programme de prise en charge des troubles mentaux prioritaires. Et les grands pays en développement, comme le Brésil, l'Inde et la Thaïlande,
"sont également sur le point d'accomplir des progrès rapides en développant les soins à travers les programmes de santé nationaux", affirme l'OMS.
Dans ce contexte, les pays occidentaux sont évidemment bien mieux lotis que d'autres. Une étude, publiée début septembre par le Collège européen de neuropsychopharmacologie (ECNP), jette pourtant une lumière alarmante sur la situation de la santé mentale et neurologique en Europe.
Portant sur trente pays et sur une population de 514 millions d'individus, elle répertorie les principales maladies mentales des enfants, adolescents et adultes, ainsi que plusieurs maladies neurologiques. Soit, au total, un éventail de troubles bien plus large que celui retenu par l'OMS, d'où il ressort des résultats quelque peu surprenants : 38 % de la population de l'Union européenne, soit près de 165 millions de personnes, souffriraient chaque année d'une de ces maladies.
"Les maladies les plus fréquentes sont les troubles de l'anxiété (14 %), l'insomnie (7 %), la dépression majeure (6,9 %), les troubles somatoformes (6,3 %), le trouble de déficit d'attention avec hyperactivité (5 % chez les jeunes), la dépendance à l'alcool et aux drogues (4 %) et la démence (1 % chez les personnes âgées de 60 à 65 ans, 30 % chez les personnes âgées de 85 ans et plus)", énumèrent les auteurs de ces travaux.
Dans l'ensemble, ces derniers n'ont pas observé d'augmentation de ces troubles par rapport à 2005, date de la dernière étude similaire. Mais ils n'ont, inversement, constaté "aucune amélioration" quant au taux "notoirement bas" de soins dont bénéficient ces patients : un tiers d'entre eux seulement reçoivent un traitement, et le plus souvent "après des délais de plusieurs années en moyenne".
Les maladies du cerveau vont-elles, comme le pensent ces experts,
devenir le problème de santé majeur du XXI
e siècle ?
Catherine Vincent