RÉCIT Pour le nourrisson, elle est aussi vitale que les aliments qu’il ingère. Et pour l’humanité, elle fut une formidable source de progrès. Retour sur la prodigieuse évolution de la parole.
« C’était une voix grave et douce, une voix de jeune homme blond ou de jeune fille brune, d’un timbre frais et pénétrant, résonnant comme un chant de cigale altérée à travers la brume poudreuse d’Egypte… », raconte Gérard de Nerval (Voyage en Orient, 1851). Mystérieuse, envoûtante voix parlée. Elle nous convie à un vertigineux voyage dans le temps. Un double voyage, à court et très long terme. A l’âge des biberons, d’abord : pourquoi la voix humaine est-elle vitale pour le nourrisson ? A l’âge des cavernes, ensuite : quand et comment est apparue, chez un de nos lointains ancêtres, cette voix articulée, « alchimie entre la raison et l’émotion », comme la définit Jean Abitbol, chirurgien phoniatre et médecin ORL, dans Voix de femme (Odile Jacob, 256 p.) ?
« Au commencement était le Verbe », écrivait Jean l’évangéliste. Le verbe, au vrai, ne fut pas au commencement de tout. Mais il fut au commencement du genre humain, ce qui n’est pas rien. Aujourd’hui encore, il se tient au tout début de chaque vie humaine. Un miracle sans cesse rejoué, puisque la voix de la mère se grave dans la matière molle d’un cerveau à partir du sixième mois de vie utérine. Ce sceau indélébile servira d’empreinte à l’enfant – du latin infans, « celui qui ne parle pas » – pour apprendre sa langue maternelle. Nombreux sont les animaux qui vocalisent, mais seul parle l’homme. Ou presque : certains perroquets, perruches et mainates jactent toutefois. La faune des fameuses Fables (1668) aussi, où La Fontaine fait même articuler les poissons.