par Guillaume Lachenal, historien des sciences, professeur à Sciences-Po (Médialab)
publié le 31 mars 2021
Porter un masque, respecter les gestes barrières… Contre le Covid, l’avenir dépendra de chacun d’entre nous, répète-t-on. Vraiment ? Les études sur le sida ont démontré que les conduites individuelles n’ont qu’un effet marginal sur l’épidémie, leur effet étant écrasé par des variables liées à l’environnement social et politique.
«L’épidémie dépendra de nos comportements» : voilà un constat raisonnable et banal. On le retrouve en version autoritaire ou bienveillante chez Boris Johnson, le préfet Lallement et mille autres experts et commentateurs. Il y a pourtant quelque chose qui cloche dans ce cliché, quelque chose de bête et de tragique, auquel il faudrait pouvoir répondre sans passer par un autre poncif, celui des fins limiers de la critique du néolibéralisme : «Vous, les politiciens, individualisez les responsabilités pour échapper aux vôtres.» Alors que nous avons enfin en France un message de santé publique potable («dehors en citoyen, chez moi avec les miens»), la question mérite mieux : d’où vient cette évidence, selon laquelle la lutte contre une épidémie passe par les «comportements individuels» ? Et qu’est-ce que cette «brique» de bon sens, comme aurait dit Roland Barthes, nous empêche de comprendre ?