Chaque matin, dès l'ouverture des portes, une cohorte silencieuse s'engouffre dans la petite agence Pôle emploi de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). Et chaque matin voit la répétition d'une aberration administrative que ritualise ce ballet anonyme de demandeurs d'emploi. Dans le jargon des techniciens, ce sont les « DE ».
Un sigle déshumanisant parmi les nombreux qui émaillent les discours des agents. Ces sigles forment une langue codée, amphigourique au possible. Elle achève d'alimenter le sentiment d'absurdité qui nous saisit, à mesure qu'on s'immerge dans cet environnement dysfonctionnel. Reconnaissons à ce lexique abscons l'avantage de tenir à distance des chômeurs dont le nombre croissant déjoue les projections, en plus de révéler l'impuissance criante de l'institution.
En plantant sa caméra dans ce décor, la jeune documentariste Nora Philippe, 32 ans, dévoile, sans forcer le trait, les failles d'un système arrivé en bout de course. Réalisé en 2013, sur un laps de temps de trois mois, son film est une immersion vertigineuse dans les arcanes d'une bureaucratie déréglée. Son parti pris est original. Elle a choisi de suivre exclusivement les conseillers de Pôle emploi qui, au nombre de quarante, gèrent pas moins de quatre mille dossiers.