Le philosophe et mathématicien gascon, d’une curiosité intarissable, a passé son existence à donner du corps à sa matière en l’ancrant dans le réel et la nature. A la question «que faut-il pour être philosophe ?» il répondait toujours : «Il faut voyager.» L’«immortel» s’en est allé samedi à 88 ans.
«Serres est marqué sur ma carte d’identité. Voilà un nom de montagne, comme Sierra en espagnol ou Serra en portugais ; mille personnes s’appellent ainsi, au moins dans trois pays. Quant à Michel, une population plus nombreuse porte ce prénom.»
C’était le 18 novembre 2009. Avec une foule de collègues, Michel Serres était à la rédaction de Libération, encore rue Béranger, pour rédiger de A à Z le «Libé des philosophes», à l’heure où le débat sur l’identité nationale faisait rage. On lui avait confié le rôle de rédacteur en chef, et la tâche d’écrire l’éditorial. Il avait les sourcils et les cheveux blancs en bataille, portait un pantalon de velours et un blouson de montagnard, rouge. Après le comité de rédaction, il était resté seul dans la grande salle dont il adorait le nom : «le hublot». On avait mis à sa disposition un ordinateur, mais il avait préféré avoir juste quelques feuilles : «J’ai un stylo.»