par Luc Le Vaillant publié le 22 avril 2024
Chère autorité,
Il n’y en a plus que pour vous. C’est à qui vous hélera, puis vous hâlera jusqu’à la berge. Vous seule semblez capable de nous réarmer contre les fauteurs de troubles imberbes. On vous invoque à tout bout de champ et on vous convoquerait volontiers si vous n’étiez pas aux abonnées absentes depuis si longtemps, laissant pantelantes les nostalgies les plus transies. Le fait est que plus personne n’entrevoit votre impériale silhouette, pesant de tout son poids sur les nuques raides, courbant les échines et étouffant sous son impavide séant de matrone impérieuse les personnalités qui croyaient pouvoir respirer tranquille, nez au vent de l’aventure, sans plus aucun compte à rendre.
Chère autorité, Gabriel Attal vient de vous réclamer un sursaut salvateur. Il faut dire que le récent titulaire de Matignon, météorique ministre de l’Education ayant bénéficié des palmes académiques en accéléré, a des soucis à se faire avec les établissements scolaires et leurs communautés éducatives. La violence y prospère sur fond de classiques rixes adolescentes mais aussi de régressifs «crimes d’honneur» et d’archaïsmes sexuels. Dans les collèges et les lycées, Attal veut livrer la mère des batailles et faire de vous la génitrice d’une génération régénérée.
Pour faciliter votre retour en gloire, il tient à ce que les élèves se lèvent à votre approche et revêtent des uniformes qui vous éviteront d’avoir à les distinguer, sinon à les reconnaître. Il songe aussi à consigner les perturbateurs dans des internats disciplinaires et à établir un casier judiciaire pour les exécrables et autres insupportables. Il est vrai que la discipline à l’ancienne ne va plus de soi en salle de classe. L’écoute attentive n’y règne plus sans demande incessante, négociation permanente et séduction charmante. Chère autorité, la révérence qui vous était due n’est plus un impératif catégorique. Ce qui n’a rien de dramatique, mais peut devenir lassant.
Pourquoi se compliquer la vie à transmettre…
Enseigner semble être devenu une telle tannée que plus grand monde ne se porte volontaire. Chère madame qui faisait autorité je ne suis pas certain que votre exfiltration, que j’ai moi-même encouragée, soit la cause ultime de cette faillite des vocations. Il est possible que l’envie d’instruire se perde à mesure que la civilisation de l’accès déroule ses facilités. Pourquoi se compliquer la vie à transmettre ce qui est chopable par le plus ignare d’entre nous ? Le professeur qui croyait modeler les têtes d’œuf et former les citoyens de demain n’est plus qu’un agrégateur de contenus et un community manager. Il se fait souvent «challenger» par des paltoquets à casquette qui googlent ses affirmations avant qu’il ait fini de les énoncer et par des péronnelles qui font cliqueter leurs griffes vernies tout juste sorties de l’onglerie pour prendre en défaut les derniers hussards noirs et les faire passer pour des darons ronchons.
La wi-fi est un prérequis à la moindre acquisition de connaissances. Le partage de connexion a succédé aux cours ex cathedra. L’omniscience est devenue un absolu à la portée des caniches et autres chihuahuas. La diffusion digitale des savoirs vrais ou faux, hiérarchisés ou non, produit un nuage de notions incertaines qui semble un éther enivrant. Chacun pense être capable de sortir en solo intégral de la brume de l’ignorance et de dominer son sujet comme un alpiniste surgirait au sommet. Et qu’importe si c’est un hélico numérique qui l’y a déposé.
Il vous reste à pleurer sur votre illectronisme congénital
Chère madame, vous n’êtes plus cette reine à lèvres pincées et à badine striée, devant laquelle on s’inclinait en pestant in petto et en pensant déjà à lui faire un enfant dans le dos. Il est illusoire qu’avec Attal, vous imaginiez restaurer sanctions et punitions. Aussitôt, ça chouinera à la stigmatisation en hurlant «respect, respect» ou ça criaillera au harcèlement moral en invoquant la bienveillance nécessaire au vivre-ensemble. Mieux, on vous rira au nez tant la technologie a renversé les préséances, torpillé le droit d’aînesse et tué les apprentissages lents et fastidieux.
Vous n’avez aucun avenir en duègne hautaine tant chacun se fout de vos exigences et se rengorge de son individualité standardisée même si ses angoisses l’asservissent parfois à des identités bien plus coercitives. Il vous reste à pleurer sur votre illectronisme congénital tant chaque bébé technoïde se prétend maître de ses désirs tout en se laissant gouverner par ses notifications divertissantes et autres cookies marchands.
Chère autorité que j’ai eu tant de plaisir à défier, vous êtes désormais une vieille lune qui compte pour des prunes. Machines molles, nos démocraties chéries vont devoir refonder le contrat social et la délégation de pouvoirs sans recours à vos secours aussi structurants qu’irritants. Et tandis que nos contrées tempérées vous regardent disparaître derrière la ligne d’horizon, vos sœurs revêches triomphent, loin là-bas, au bras de satrapes illibéraux et de satyres théocratiques.
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