Le physicien et philosophe Bernard d’Espagnat est mort le 1er août à Paris quelques jours avant ses 94 ans. Il y a quelques mois, l’éditeur Dunod avait réédité l’un de ses livres majeurs, A la recherche du réel, le regard d’un physicien, qui témoigne à merveille de la double identité du scientifique : rigoureux dans sa discipline et curieux d’explorer les conséquences métaphysiques de ses théories.
L’ouvrage, à sa sortie en 1979, avait été recensé en « une » du Monde et avait été rapidement en rupture de stock, puis réédité en 1981 et 1991.
Le physicien Etienne Klein, présentant cette réédition, lui attribue une « puissance destinale », anticipant les résultats qui allaient donner raison à Bernard d’Espagnat, malgré l’étrangeté de ses conclusions. Pour ce dernier, il convient en effet d’abandonner l’idée d’avoir un jour une vision totalement objective du monde. Un comble pour tout physicien rationaliste ! Selon lui, la connaissance de la nature n’est pas indépendante de celui qui l’observe. D’où sa notion de « réel voilé » qui illustre les limites à la connaissance.
Cette plongée métaphysique et ces conclusions ne sont pas si surprenantes pour ce chercheur spécialisé en mécanique quantique. Cette théorie de l’infiniment petit, façonnée dans les années 1920, suscite en effet dès le début des débats philosophiques homériques, notamment entre Albert Einstein et Niels Bohr. Le premier ne croyant pas par exemple l’idée, défendue par le second, que le monde classique et le monde quantique sont séparés.
Parcours atypique
Bernard d’Espagnat, curieux dès son plus jeune âge de comprendre la nature, réalise qu’il n’aura de réponses à ses interrogations que s’il se lance dans les sciences. Il intègre l’Ecole polytechnique en 1942, puis le tout jeune CNRS en 1947. En 1950, il termine sa thèse sous la direction de Louis de Broglie, Prix Nobel de physique en 1929 et artisan important de la mécanique quantique. Il rejoint alors à Genève le CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, dans le groupe de physique théorique.
Mais tout en s’attachant à décrire le monde des particules élémentaires, il n’oublie pas de s’intéresser aux fondements de la théorie quantique. A Genève, il côtoie un jeune Irlandais, John Bell, qui propose en 1964 une expérience permettant de trancher le débat Einstein-Bohr et de savoir si oui ou non la mécanique quantique se distingue radicalement de son homologue classique, en permettant par exemple à deux objets d’interagir instantanément. La réponse définitive (et positive !) ne viendra que près de vingt ans plus tard, dans les laboratoires de l’université d’Orsay (rebaptisée Paris-Sud) où Bernard d’Espagnat est devenu professeur en 1959. En 1982, le jeune physicien Alain Aspect, qui avait participé à un groupe de travail lancé par Bell et d’Espagnat en 1976 sur le sujet, confirme les bizarreries du monde quantique.
Bernard d’Espagnat publie de nombreux livres philosophiques, comme Un atome de sagesse (Seuil, 1982), Une incertaine réalité, le monde quantique, la connaissance et la durée (Gauthier-Villars, 1985), Le Réel voilé, analyse des concepts quantiques (Fayard, 1994)…, qui lui vaudront d’être élu en 1996 à l’Académie des sciences morales et politiques. En 2000, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.
Consécration de ce parcours atypique, il reçoit en 2009 le prix Templeton de la fondation américaine éponyme pour « une exceptionnelle contribution à l’affirmation de la dimension spirituelle de la vie ». Parmi les lauréats de ce prix doté d’un million de livres, outre d’autres physiciens, Desmond Tutu, Mère Teresa ou le dalaï-lama.
22 août 1921 Naissance à Fourmagnac (Lot)
25 mars 1996 Elu à l’Académie des sciences morales et politiques
5 mai 2009 Reçoit le prix Templeton
1er août 2015 Mort à Paris
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