CRITIQUE
Résurrection. Près de Porto, les belles collections de Richard Treger et Antonio Saint Silvestre inaugurent le premier musée du pays consacré au genre
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Fraîchement retapée, l’ancienne usine qui accueille l’Oliva Creative Factory au sud de Porto (lire ci-contre) expose depuis fin mai «Art brut, Breaking up the Boundaries», une collection notable de 600 pièces d’art brut et d’art singulier, proposée par les collectionneurs Richard Treger et Antonio Saint Silvestre. Le commissariat est assuré par le conservateur parisien Christian Berst. On commence par l’étage, où s’ouvre le lieu de l’art brut, «un pan de l’art encore inexploré pour une large part du public», selon Berst, qui assure la visite tout en vérifiant la qualité de conservation des œuvres.
Cathédrale. Contacté il y a un an à la suite d’une exposition à la Fondation Vieira Da Silva de Lisbonne en 2012 qui avait établi un record de fréquentation pour le musée, Christian Berst se voit en«passeur», «comme Richard Treger et Antonio Saint Silvestre», confie-t-il en pénétrant dans la première salle, espace tout en longueur, qui montre des classiques du genre : «historiques», tel le Suisse Wölfli (1864-1930) dont les compositions complexes et denses furent, d’après André Breton, «vitales au XXe siècle». Ou encore un extrait d’un carnet à dessins de l’Allemand Oskar Voll (1876-1935 ?), découpage quasi cinématographique d’une action entre soldats. Issu de la fameuse collection de Hans Prinzhorn, psychiatre allemand qui étudia au début du XXe siècle les manifestations de la folie dans l’art et influença les surréalistes, ce carnet à dessins de Voll est une pièce particulièrement rare.
«Certains collectionneurs jouissent des œuvres qu’ils achètent dans l’intimité, voire dans le secret. Treger et Saint Silvestre sont dans le partage, continue Christian Berst, leur but ultime étant de trouver le moyen de montrer leur collection [sur laquelle Treger, qui tint longtemps une galerie rue Mazarine à Paris (VIe), travaille depuis quarante ans, ndlr], sorte de work in progress, avec un regard autorisé, rôle qui m’est ici confié.»
Dans une deuxième pièce, les classiques sont «modernes», datant des trente dernières années. Il y a là les bonshommes au crayon d’Alexis Lippstreu (1972), inspirés de tableaux classiques, personnages à l’humanité exacerbée dans le vide qui les entoure. Egalement une première sculpture d’A.C.M., sorte de cathédrale de petites pièces électriques et électroniques qu’il nettoie, transforme à l’acide avant de les oxyder (d’autres œuvres de cet artiste picard, né en 1951, sont montrées dans la pièce suivante).
Auréole.«Je connaissais parfaitement chacune des pièces de la collection rassemblée par Richard Treger et Antonio Saint Silvestre,explique Christian Berst. Pourtant, le découpage n’a pas été évident, l’idée étant de ne pas tomber dans un discursif obscur. Et, en même temps, de ne pas sacrifier le fond à la forme.» Un équilibre tout en finesse, que le commissaire d’exposition trouve dans une approche simple - chronologique - augmentée de l’interrogation des «limites» du genre, de sa «porosité» avec d’autres formes d’art, dans de larges salles claires qui donnent aux œuvres un espace vital conséquent. «Je vois beaucoup de néophytes à la galerie (1), leurs interrogations tournent autour de la définition de l’art brut. Il s’agissait donc, ici, d’imaginer un parcours qui raconte à la fois l’histoire de cet art tout en montrant les passages avec l’art populaire ou le surréalisme.»
Deuxième partie de la visite au rez-de-chaussée, dans un espace tout aussi aéré, dont les cloisons rouges tranchent avec tonus sur une majorité blanche. Toujours issues de la collection de Treger et Saint Silvestre, les œuvres souvent colorées, figuratives, d’artistes autodidactes que l’on nomme «singuliers».
Plus «calmes», sûrement, que leurs voisins de l’étage supérieur, ils peuvent néanmoins manifester un côté obsessionnel, comme les milliers de coquillages collés et peints par Paul Amar (1919) formant de larges tableaux en relief peuplés d’une multitude de personnages, démultiplication qui invite à se perdre dans l’univers de l’artiste. Ou les personnages enfantins d’Antonio Saint Silvestre (1946), qui dit s’inspirer«des mauvaises nouvelles à la télévision», cauchemardesques et baroques. Une mini reine blanche, dont les pieds ne touchent pas terre depuis son trône à têtes de mort, ou cet enfant, sorte de Salvator Mundi en tenue de foot, le visage cerclé d’une auréole, dans la position du divin enfant donnant la bénédiction d’une main, tandis que l’autre, plutôt que de porter le traditionnel orbe royal, soutient un ballon de foot.
(1) Galerie Christian Berst, 3-5, passage des Gravilliers, 75003.
Par Stéphanie Estournet Envoyée spéciale à São João da Madeira (Portugal)
Art Brut : Breaking up the Boundaries Oliva Creative Factory, rua da Fundiçao, 240, São João da Madeira (Portugal). Rens. : olivacreativefactory.com
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