"Donny", enfant du chaos
Ce petit Américain de 8 ans vit depuis toujours entre psychologues, classes adaptées et unités de soins. La photographe Brenda Ann Kenneally suit son parcours depuis sa naissance
Depuis quelques mois, Donny (le prénom a
été changé) va mieux. En février, ce petit
Américain de 8 ans a été retiré de la « classe
spécialisée » où il avait été placé en raison
de troubles du comportement, et transféré
dans une unité de jour privée où il bénéficie d’un enseignement individuel. Il avale moins de médicaments et tisse des liens moins violents avec son entourage. Pour la première fois de sa vie, il se lève à l’aube en réclamant d’aller à l’école, lui qui n’a cessé d’être renvoyé des établissements qu’il a fréquentés. Une photo récente le montre même observant sereinement ses pieds trempés dans
l’eau d’un lac, attendant que les poissons le mordillent.
Une qualité d’attention qu’on ne lui connaissait pas.
Kayla, sa mère, avait tout juste 14 ans lorsqu’est né Don-
ny, en 2004. Depuis cette date, la photographe Brenda
Ann Kenneally suit chaque étape de son parcours (son
portfolio « The Boy from Troy » est visible sur le site du
Time, Lightbox.time.com). Le garçonnet a grandi dans un
bloc d’habitation d’un quartier nord de Troy, une ville
située au centre de l’Etat de New York, entre sa mère adolescente et ses compagnons successifs, sa grand-mère
maternelle logée dans l’appartement du dessous avec ses
propres enfants (les oncles et tantes de Donny) à peine plus âgés que lui, les gamins de la cité et ses jeux vidéo.
A l’âge d’un an, le bébé a fait la connaissance de son père
biologique, Jordan, qui venait d’être libéré de prison. Ce
papa en pointillés alterne périodes de liberté et d’incarcération. En parallèle, Donny a amorcé son parcours cahotant, ballotté de psychologue en « classe adaptée ». A l’âge
de 3 ans, il a commencé à « faire des colères » inexpliquées,
en particulier aux moments des transitions de la vie quotidienne : à l’heure de s’habiller ou à celle de remonter chez
lui depuis l’appartement de sa grand-mère. Il fallait alors traîner dans l’escalier une boule de nerfs incontrôlable.
Cercle vicieux
Dès la maternelle, Donny a été renvoyé à quatre reprises
pendant l’année scolaire. En CP, le nombre de mesures d’exclusion a doublé : « handicap émotionnel », « troubles du
comportement », « attitude asociale », ont diagnostiqué les
experts qui l’ont déclaré dangereux et inadapté. On a com-
mencé à lui administrer des médicaments matin et soir. Il
a perdu l’appétit et recommencé à mouiller son lit.
C’était un cercle vicieux : ne supportant pas l’école, il se
rendait insupportable pour en être évincé. Alors livré à lui-
même, il passait des semaines entières en compagnie des
chiens de la famille et surtout d’une console vidéo. Le nom de son jeu favori, « L’Appel du devoir », ne s’invente pas.
C’est un jeu de guerre. On s’y bat à mort contre des zombies.
A 7 ans, Donny a menacé de se jeter du deuxième étage.
Une tutrice à domicile a été nommée par le bureau des affaires scolaires du comté de Rensselaer où est située la ville de
Troy. Voulant attirer à tout prix l’attention de cette femme,
l’enfant s’est allongé par terre et a fermé les yeux, « pour fai-
re le mort ».
Les périodes de déscolarisation se sont multi-
pliées et leur durée s’est encore allongée. Jusqu’au placement de Donny, en février, dans cette école spécialisée.
Une étude du Fonds américain pour la défense des
enfants l’atteste : l’exclusion des écoliers perturbateurs
– souvent issus des minorités ou souffrant de handicaps –
n’est d’aucune efficacité pour améliorer leur comporte-
ment. Fallait-il une enquête du bureau des droits civiques
du ministère de l’éducation pour confirmer cette évidence ? Selon ce document, les élèves mis à la porte de l’école
une première fois commencent souvent un parcours balisé d’exclusions successives qui s’achève en prison.
Philippe Bernard
Photos : Brenda Ann Kenneally
« Facing Change »
Au plus fort de la crise des années
1930, la Farm Security Administra-
tion avait engagé plusieurs des plus
grands photographes du moment
(notamment Walker Evans) dans le
but de restituer en images les effets
de la crise. Les membres du collectif
Facing Change poursuivent le même
objectif : mettre en lumière les visa-
ges d’une Amérique plongée dans la
dépression, et les efforts de millions
d’Américains ordinaires à qui les
principaux médias n’accordent que
très peu d’attention. « Le Monde » a
sélectionné dix volets de ce monu-
mental projet documentaire, qu’il
publiera jusqu’à l’élection du
6 novembre. www.facingchange.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire