Soins psychiatriques : une loi délirante
Le 30 août 2011 |
"Sécuritaire", "antithérapeutique", la loi du 5 juillet sur les soins psychiatriques est loin de faire l'unanimité. Hôpitaux, centres d'accueil alternatifs : qu'en pensent les professionnels ?
Difficile d'oublier ces visages denses qui scrutent intensément l'interlocuteur, le questionnent avec une clairvoyance incisive. Impossible de laisser filer ces voix laborieuses, et pourtant si désireuses de parler. Au centre psychothérapique de Saint-Martin-de-Vignogoul (Hérault), une évidence prend à la gorge : la psychose que l'on y soigne, c'est la part de folie, de difficulté à vivre, que tout humain porte en lui, mais que certains, plus fragiles, ne parviennent pas à dompter. Ils sombrent alors dans l'hystérie, la schizophrénie, les bouffées délirantes, ils sombrent en eux-mêmes, jusqu'à trouver une main tendue.
Alejandra, Angèle, Rémi, Marie (1) et beaucoup d'autres ont voulu témoigner de leur vie au centre. D'autres sont venus, sans pouvoir ou vouloir parler, offrant leur présence comme un témoignage silencieux. Ouverte en 1972 dans un château du Moyen Age bordé de somptueux lauriers, cette clinique privée, agréée par la Sécurité sociale (2) , accueille quatre-vingt-cinq patients venus « prendre le temps d'essayer de comprendre ce qui leur arrive », explique son directeur, le Dr Hervé Bokobza. Atteints de divers troubles psychiques, rarement nommés précisément « pour ne pas les étiqueter », presque tous sont passés par l'hôpital ou les cliniques psychiatriques, avant d'atterrir sur cet « îlot de résistance ». Adressés par des hôpitaux ou des psychiatres de toute la France, ils ont tous écrit une lettre de motivation. « Leur consentement est le socle du travail, insiste Hervé Bokobza. Il faut qu'ils soient d'accord pour entrer, pour prendre leur traitement. Ils décident de leur départ. Ils sont acteurs de leurs soins. »
Soins obligatoires et fichiers d'antécédents
Ici, la loi du 5 juillet 2011 sur les soins psychiatriques, entrée en vigueur en catimini le 1er août, a été longuement expliquée. « Le jour où on en a parlé, j'ai pleuré toute la soirée », se souvient Marie. Conçue pour pallier le manque de lits hospitaliers, et lutter contre la dangerosité supposée des malades, cette loi instaure des soins obligatoires à domicile, sous la menace d'hospitalisation, renforce le pouvoir des préfets pour lever les internements forcés, crée un fichier d'antécédents qui suit le malade pendant dix ans. Après deux semaines de soins forcés, elle prévoit l'intervention d'un juge. Faute de moyens, la « rencontre » peut se faire par visioconférence : patient et juge chacun devant un écran vidéo ! Tollé général, comme dans le service de psychiatrie de l'hôpital des Murets (94), où le Dr Bernard Martin s'insurge : « Ce dispositif est absurde, et même dangereux, pour des malades en crise, qui se sentent persécutés et croient souvent que la télévision leur parle personnellement. »Qualifiée de « sécuritaire » et « antithérapeutique », la loi a mis dans la rue quantité de professionnels, qui dénoncent une méconnaissance effrayante de la réalité des malades, la dégradation depuis des années de leurs conditions de travail, et un virage inquiétant vers une psychiatrie policière.
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