A 65 ans, la médecine du travail est très malade
04.04.11La médecine du travail n'en finit pas de mourir à petit feu dans une relative indifférence.
Ce dispositif, cogéré par les partenaires sociaux, éprouve de plus en plus de difficultés pour remplir ses missions. Lassés de pousser des "cris d'alarme" sans aucun effet, les dix administrateurs patronaux du service de santé au travail de la région nantaise (SSTRN) ont annoncé, début mars, leur démission en bloc. Leur geste, sans précédent aux dires de plusieurs bons connaisseurs du secteur, révèle un profond malaise.
Instituée par une loi de 1946, la médecine du travail couvre 15,8 millions de salariés du privé grâce aux services autonomes des employeurs et à des structures "inter-entreprises". Le système emploie près de 7 000 médecins et un peu plus de 12 000 autres personnes (infirmiers, "intervenants en prévention des risques professionnels", etc.). Dans moins de cinq ans, "si rien n'est fait (...), ce dispositif unique au monde pourrait s'éteindre", écrivent Christian Dellacherie, Paul Frimat et Gilles Leclercq, trois spécialistes de la question, dans un rapport présenté en avril 2010.
L'un des principaux problèmes est d'ordre démographique : un peu plus de 55 % des médecins du travail ont au moins 55 ans. En 2015, plus de 4 000 praticiens auront donc atteint ou dépassé l'âge légal de départ à la retraite. Les générations se renouvellent de moins en moins dans cette discipline jugée peu attractive depuis longtemps. En principe, un médecin du travail suit 3 300 salariés au maximum. Mais nombreux sont ceux qui dépassent ce quota et quelques "pointes à 7 000 salariés" ont même été relevées, rapporte Martial Brun, le directeur du Cisme, une association qui coiffe la plupart des services inter-entreprises de santé au travail. La pénurie prévaut dans certains départements, comme la Nièvre et la Haute-Marne.
Pas étonnant, dans ce contexte, si des services ne respectent pas leurs obligations : en particulier la visite médicale, qui doit avoir lieu tous les deux ans pour les salariés du privé relevant d'une "surveillance simple".
Du coup, les contentieux éclatent. Durant l'été 2010, le service médical inter-entreprises du Saumurois s'est fait épingler par la direction régionale du travail parce qu'il était "affecté par une carence chronique de médecins du travail". Le président de cette entité a été convoqué, quelques mois plus tard, au commissariat pour s'expliquer sur ces "infractions".
Des salariés, qui n'ont pas passé de visite médicale dans les délais requis, prennent acte de la rupture de leur contrat de travail : dans ce cas de figure, ils partent de leur propre chef mais sont dédommagés comme s'ils avaient été victimes d'un licenciement abusif.
Enfin, certains services inter-entreprises se plaignent des "injonctions paradoxales" des pouvoirs publics : des formations relatives à la santé au travail risquent de ne plus être agréées par l'administration alors même qu'elles sont au coeur de leurs missions, s'indignent-ils. Ils déplorent également les "insultes" et les "insinuations" de certains syndicats de médecins qui versent dans le "militantisme antipatronal primaire", selon la formule des dix administrateurs patronaux du SSTRN.
Leur coup de gueule se produit au moment où la réforme de la médecine du travail tarde à voir le jour. Des mesures avaient été votées, fin 2010, dans le cadre de la loi sur les retraites. Mais le Conseil constitutionnel les a invalidées au motif qu'elles n'avaient pas de lien avec le texte. Une proposition de loi, reprenant ces dispositions, a été adoptée par les sénateurs fin janvier. Elle doit maintenant être examinée par l'Assemblée nationale à une date qui n'a pas encore été arrêtée.
La démission des administrateurs du SSTRN est ressentie comme une "manoeuvre" par le Syndicat national des professionnels de la santé au travail. Certains observateurs pensent qu'elle traduit une hostilité à la proposition de loi en cours d'examen au Parlement. Celle-ci prévoit d'instaurer un véritable paritarisme en confiant la présidence des services inter-entreprises alternativement aux organisations d'employeurs et de salariés.
Bertrand Bissuel
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