Du rire comme arme de subversion
Si les scientifiques reconnaissent au rire des vertus thérapeutiques, d’autres – détenteurs du pouvoir sous ses formes politiques, religieuses ou économiques – le redoutent aujourd’hui et perçoivent le danger qu’il pourrait représenter pour leur image. Car telle est bien l’ambiguïté sociale du rire. D’un côté, il joue un rôle de catharsis permettant « l’évacuation de la colère, de la frustration ou de la souffrance, et donc des pulsions de violences que nous éprouvons dans certaines circonstances », ce en quoi il désamorce les risques d’affrontements ou de conflits. Mais de l’autre, il ébranle l’autorité, remet en cause le consensus lénifiant et « ruine en peu de mots, de gestes ou de symboles les stratégies de communication manipulatrices et coûteuses des détenteurs du pouvoir. » Ce constat est mis en lumière dans le premier chapitre d’un court essai, Désobéir par le rire (Le Passager clandestin, 64 pages, 5 €), écrit par un collectif (Les Désobéissants) et publié dans une collection dirigée par Xavier Renou.
Nul doute que le rire occupe une place de première importance dans la recherche d’un apaisement social. Il sert, en quelque sorte, de soupape. Rire d’un prince évite à celui-ci d’essuyer des attaques plus vigoureuses qui fissureraient ou renverseraient son trône. Rire d’un prince le rappelle aussi à la mesure, sinon à la raison s’il vient à abuser de son pouvoir ou à se mal conduire en toute impunité. En cela, l’humour se présente comme une version moderne du serviteur placé derrière le général romain lors de son triomphe et lui murmurant « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme », ou du fou du roi, autorisé à toutes les insolences. Mais si le général romain et le roi (jusqu’à Louis XIV qui supprima la charge de bouffon) acceptaient, bon gré mal gré, l’humour corrosif attaquant jusqu’à leurs personnes, les princes contemporains (et à fortiori leurs barons…) semblent bien moins enclins à accepter une forme de critique au vitriol ou d’impertinence qui sévit aussi bien sur les ondes qu’au café du Commerce. Les mésaventures de Stéphane Guillon et Didier Porte, remerciés par la radio qui les employait (« lourdés » serait peut-être un terme plus approprié, car leur départ ne se fit pas dans la légèreté), en offrent l’exemple, même si l’on peut penser que l’initiative de ce geste n’était pas partie du Palais, mais avait été prise dans le souci de lui complaire.
Bergson l’avait souligné dans son essai Le Rire : « Le rire châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès. » Une remarque particulièrement pertinente à la lumière de notre actualité, dans un contexte où le « pas vu, pas pris » est, depuis longtemps, devenu un mode d’exercice des responsabilités. Pourtant, railler un roi ou un baron (quelque fonction qu’il occupe) pose aujourd’hui problème, car, sous les risées et les quolibets, le roi devient nu, un état qui se révèle intolérable dans un monde de communication globale et instantanée, où l’image l’emporte souvent sur le fond. Dans le même essai, Bergson ajoutait : « La seule cure contre la vanité, c’est le rire et la seule faute qui soit risible, c’est la vanité ». Mais, de nos jours, cette cure paraît, pour beaucoup, bien au-dessus de leurs moyens.
Nul doute que le rire occupe une place de première importance dans la recherche d’un apaisement social. Il sert, en quelque sorte, de soupape. Rire d’un prince évite à celui-ci d’essuyer des attaques plus vigoureuses qui fissureraient ou renverseraient son trône. Rire d’un prince le rappelle aussi à la mesure, sinon à la raison s’il vient à abuser de son pouvoir ou à se mal conduire en toute impunité. En cela, l’humour se présente comme une version moderne du serviteur placé derrière le général romain lors de son triomphe et lui murmurant « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme », ou du fou du roi, autorisé à toutes les insolences. Mais si le général romain et le roi (jusqu’à Louis XIV qui supprima la charge de bouffon) acceptaient, bon gré mal gré, l’humour corrosif attaquant jusqu’à leurs personnes, les princes contemporains (et à fortiori leurs barons…) semblent bien moins enclins à accepter une forme de critique au vitriol ou d’impertinence qui sévit aussi bien sur les ondes qu’au café du Commerce. Les mésaventures de Stéphane Guillon et Didier Porte, remerciés par la radio qui les employait (« lourdés » serait peut-être un terme plus approprié, car leur départ ne se fit pas dans la légèreté), en offrent l’exemple, même si l’on peut penser que l’initiative de ce geste n’était pas partie du Palais, mais avait été prise dans le souci de lui complaire.
Bergson l’avait souligné dans son essai Le Rire : « Le rire châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès. » Une remarque particulièrement pertinente à la lumière de notre actualité, dans un contexte où le « pas vu, pas pris » est, depuis longtemps, devenu un mode d’exercice des responsabilités. Pourtant, railler un roi ou un baron (quelque fonction qu’il occupe) pose aujourd’hui problème, car, sous les risées et les quolibets, le roi devient nu, un état qui se révèle intolérable dans un monde de communication globale et instantanée, où l’image l’emporte souvent sur le fond. Dans le même essai, Bergson ajoutait : « La seule cure contre la vanité, c’est le rire et la seule faute qui soit risible, c’est la vanité ». Mais, de nos jours, cette cure paraît, pour beaucoup, bien au-dessus de leurs moyens.
Umberto Eco, dans Le Nom de la rose, avait fait d’un hypothétique tome second de la Poétique d’Aristote, sensé traiter de la comédie, donc du rire, le pivot de son célèbre roman policier porté au cinéma. Le bibliothécaire aveugle de l’abbaye, Jorge de Burgos (clin d’œil à Jorge-Luis Borges…) dit, dans les dialogues du film : « Le rire tue la peur, et sans la peur, il n’y a pas de foi. Car, sans la peur du Diable, il n’y a plus besoin de Dieu. […] Pouvons-nous rire de Dieu ? Le monde retomberait dans le chaos. » Ce propos – auquel d’autres religions, sinon toutes, adhèrent encore – montre combien le rire peut saper un projet politique et, en le paraphrasant pour conduire le raisonnement à son extrémité, on pourrait ajouter : « sans la peur, il n’y a pas de pouvoir ». C’est précisément ce sujet qu’aborde Désobéir par le rire. Si les auteurs s’adressent ouvertement aux « militants » et aux « activistes non violents », en d’autres termes à une gauche alternative, à la mouvance altermondialiste et aux anars, son contenu intéressera un ensemble bien plus vaste de lecteurs s’ils parviennent à s’accommoder d’une sémantique parfois un peu trop politiquement connotée.
L’essai définit l’humour comme une arme politique, à forte portée subversive, capable de remettre en question l’ordre établi, mais aussi d’éroder l’autorité, la crédibilité, voire la légitimité des détenteurs du pouvoir à travers les abus auxquels ils pourraient se livrer. Il analyse les différentes formes d’actions possibles, des plus « potaches » aux plus sophistiquées, en s’accompagnant d’exemples parfois comiques. L’une d’entre elles a acquis ses lettres de noblesse avec le mouvement Dada et les Surréalistes, puis les Situationnistes : l’entartage dont Noël Godin, alias Georges Le Gloupier, est le théoricien et le principal praticien depuis la fin des années 1960, dans le cadre d’une démarche anarcho-humoriste. Longtemps considéré comme une blague bon-enfant dont un «philosophe» médiatique et quelques célébrités ou fausses gloires se prenant « très, très, très au sérieux » furent les cibles, l’« attentat pâtissier » est toutefois devenu un acte risqué, depuis que la Cour de cassation a qualifié fort sérieusement la tarte à la crème d’« arme par destination » (ce qui suppose une requalification de l’acte en « agression avec violence ») dans un arrêt de 2002 concernant l’entartage de Jean-Pierre Chevènement.
L’essai définit l’humour comme une arme politique, à forte portée subversive, capable de remettre en question l’ordre établi, mais aussi d’éroder l’autorité, la crédibilité, voire la légitimité des détenteurs du pouvoir à travers les abus auxquels ils pourraient se livrer. Il analyse les différentes formes d’actions possibles, des plus « potaches » aux plus sophistiquées, en s’accompagnant d’exemples parfois comiques. L’une d’entre elles a acquis ses lettres de noblesse avec le mouvement Dada et les Surréalistes, puis les Situationnistes : l’entartage dont Noël Godin, alias Georges Le Gloupier, est le théoricien et le principal praticien depuis la fin des années 1960, dans le cadre d’une démarche anarcho-humoriste. Longtemps considéré comme une blague bon-enfant dont un «philosophe» médiatique et quelques célébrités ou fausses gloires se prenant « très, très, très au sérieux » furent les cibles, l’« attentat pâtissier » est toutefois devenu un acte risqué, depuis que la Cour de cassation a qualifié fort sérieusement la tarte à la crème d’« arme par destination » (ce qui suppose une requalification de l’acte en « agression avec violence ») dans un arrêt de 2002 concernant l’entartage de Jean-Pierre Chevènement.
Autres méthodes décryptées : la parodie, qui permet, notamment, au collectif « Sauvons les riches » d’organiser de « fausses manifestations de droite » et les clowneries de la Brigade activiste des clowns. La dérision n’est pas oubliée, à travers les fausses remises de prix, par exemple aux entreprises pratiquant l’« écoblanchiment » (communi-cation sur les qualités environnementales d’une organisation ou d’un produit à des fins purement marketing) ou proposant des techniques de surveillance sociale (Big Brother Awards). Les Italiens remettent chaque année, dans le même esprit, un « Tapiro d’oro », trophée représentant un tapir doré (par allusion au nez démesurément allongé de l’animal) aux politiciens coupables de bourdes mémorables. Plus inquiétantes sont les impostures, une spécialité des « Yes Men » américains, lesquels se firent inviter à un congrès international en tant que « représentants de l’OMC » et y firent un discours prônant le rétablissement de l’esclavage sans soulever la moindre protestation de l’auditoire…
Dans la dernière partie de l’essai le lecteur trouvera un guide d’humour subversif où sont expliquées par le menu les méthodes permettant d’organiser efficacement un canular, un détournement publicitaire, un attentat pâtissier, etc., ainsi qu’une bibliographie. Pour autant, l’arsenal humoristique présenté se révèle moins subversif que l’on n’aurait pu l’imaginer dans un ouvrage laissant entendre que le rire serait un moyen de « désobéissance civile ».
Dans la dernière partie de l’essai le lecteur trouvera un guide d’humour subversif où sont expliquées par le menu les méthodes permettant d’organiser efficacement un canular, un détournement publicitaire, un attentat pâtissier, etc., ainsi qu’une bibliographie. Pour autant, l’arsenal humoristique présenté se révèle moins subversif que l’on n’aurait pu l’imaginer dans un ouvrage laissant entendre que le rire serait un moyen de « désobéissance civile ».
Les limites posées par les auteurs définissent en effet un cadre assez consensuel, sinon politiquement correct. Sont ainsi déconseillés l’humour déplacé (« quand le sujet est trop grave ») et celui qui serait « trop provocateur en regard des tabous existants chez [les soutiens possibles] ». Nous sommes là très éloignés des sketches et chroniques des humoristes (Stéphane Guillon, Didier Porte, mais aussi d’autres, comme les chansonniers) ou des dessins d’un Siné à l’inoxydable et irrévérencieuse jeunesse. Car l’humour est aussi un moyen efficace d’éviter à une société de se scléroser dans de belles certitudes et dans ses tabous.
Par ailleurs, les exemples cités concernent quasi exclusivement des cibles « de droite », comme si la vanité ou les manipulations qu’il fallait brocarder n’existaient que dans ce camp, vision manichéenne et simpliste qui pourrait nuire à la porté du propos. Chacun se souvient ainsi de ce dirigeant écologiste, si farouchement opposé à l’automobile, affirmant qu’il s’était rendu « à vélo » à une réunion en février 2007, alors que des caméras l’avaient filmé descendant d’une voiture avec chauffeur… Cette tartufferie, qui en vaut bien d’autres, ne fit jamais l’objet d’une remise en place humoristique. On aurait aussi aimé trouver dans cet essai quelques exemples d’autodérision. Car, comme le disait Paul Léautaud, « On rit mal des autres quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même.
Illustrations : Le Rire, huile sur panneau, XVe siècle - Le Rire de Démocrite, Hendrick Ter Brugghen, 1628 - Portrait du bouffon, Velasquez. »
Par ailleurs, les exemples cités concernent quasi exclusivement des cibles « de droite », comme si la vanité ou les manipulations qu’il fallait brocarder n’existaient que dans ce camp, vision manichéenne et simpliste qui pourrait nuire à la porté du propos. Chacun se souvient ainsi de ce dirigeant écologiste, si farouchement opposé à l’automobile, affirmant qu’il s’était rendu « à vélo » à une réunion en février 2007, alors que des caméras l’avaient filmé descendant d’une voiture avec chauffeur… Cette tartufferie, qui en vaut bien d’autres, ne fit jamais l’objet d’une remise en place humoristique. On aurait aussi aimé trouver dans cet essai quelques exemples d’autodérision. Car, comme le disait Paul Léautaud, « On rit mal des autres quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même.
Illustrations : Le Rire, huile sur panneau, XVe siècle - Le Rire de Démocrite, Hendrick Ter Brugghen, 1628 - Portrait du bouffon, Velasquez. »
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