SOCIÉTÉ
Santé mentale : la parole qui brise les murs
Publié le mercredi 24 mars 2010
L'émission les Z'entonnoirs est animée par des usagers de la psychiatre et des soignants.
Photo Ludo Maillard
La maladie mentale, une pathologie comme les autres ? Des acteurs de la psychiatrie l'aident à sortir des murs et des clichés. Exemple : les Z'entonnoirs, une émission radio pas comme les autres.
VIOLAINE MAGNE
violaine.magne@nordeclair.fr
Jérôme a 44 ans, il adore son chat, à tel point qu'il lui laisse faire ses griffes sur sa chaussure gauche. Il peint et dessine : « je sais faire que ça ». Et le matin, il a comme habitude d'aller promener le chien de sa mère avant de faire une petite pause au troquet du coin à Roubaix. Bref, Jérôme mène une existence tout ce qu'il y a de plus classique, même s'il a un lourd fardeau à porter, sa maladie : la schizophrénie.
« Pour moi, la honte, c'est de ne pas travailler. Dans notre société, quand tu ne travailles pas, soit tu es un pauvre malheureux, soit tu es un feignant, c'est excessivement difficile de porter ça », lâche-t-il. Sans compter que, du coup, il ne vivote qu'avec avec une allocation d'adulte handicapé. « J'ai de la chance, j'ai de la famille qui s'occupe de moi. Mais certains, dehors, sont SDF ».
« Vindicte populaire »
La vie de malade, c'est aussi l'anxiété, les angoisses et « la dépendance à la chimie » : « Quand on prend ses antipsychotiques, on est stabilisé, on pense qu'on est guéri, mais non et à chaque fois, on retombe plus profond ». Et puis, c'est le regard de la société, la « vindicte populaire » qu'il sent peser sur lui. « S'ils rétablissaient le goulag, on serait les premiers à y passer ». Un sentiment qui se renforce chaque fois qu'un fait divers impliquant une personne psychotique défraye la chronique.
Mais la vie de Jérôme, c'est aussi la radio. Depuis 5 ans, il participe avec une quinzaine de personnes à l'émission les Z'entonnoirs. Une manière de libérer la parole : « C'est essentiel, souligne Jérôme, si y'a pas la parole, y'a rien. » Cette émission est née en 2005, à l'initiative d'Erika Schröder, cadre supérieure de santé à l'établissement publique de santé mentale (EPSM) de l'agglomération lilloise, et de la Condition Publique de Roubaix. « J'avais dans l'idée d'insérer les gens dans la ville. Lors du Festival Extramundi, les patients étaient interviewés avec les mêmes questions que pour les gens connus. Et lorsque ça a été terminé, les patients n'arrêtaient pas de me demander quand est-ce qu'on faisait à nouveau de la radio. » Le projet qui s'inspire d'une expérience argentine est reconnu comme une « activité thérapeutique ». « On travaille sur la parole, tous ont des compétences et une grande envie d'être entendus. Ça leur permet de s'ouvrir.
Ils commencent à se positionner comme citoyens », explique Erika Schröder. « Le nom est provocateur, reconnaît Ahmed Haddouche, un des animateurs des Z'entonnoirs, mais c'est l'idée qu'on a le droit d'être différent et que c'est aussi à la société d'accepter. »
Combattre le repli sur soi
Chaque lundi, un petit groupe d'une quinzaine de personnes, patients en psychiatrie et infirmiers, travaille toute la journée à la Condition publique pour monter une émission, comme dans une vraie station, avec conférence de rédaction, enregistrement et débriefing. Chacun s'exprime sur les thématiques qu'il a choisies. Et régulièrement, les journalistes-chroniqueurs reçoivent aussi des invités. Tahar Issiakhene présente très sérieusement sa rubrique écologie « sur la consommation de viande très importante qui pose des problèmes ». « Mon entourage m'écoute le vendredi. Ça m'apporte plus de communication avec les autres et c'est un bon moyen de connaissance de culture générale. » Pour Roger-Lucien aussi l'émission permet de « combattre le repli sur soi ».Gilbert explique à son tour : « La radio, c'est un moyen de défense pour les malades, pour que les gens entendent que nous sommes comme eux ». L'émission fait aussi la part belle à la poésie. Car, comme l'affirme Bruno : « Le poète et le fou ont beaucoup de choses à se dire.
On sort des sentiers battus. Sur la politique par exemple, on donne un point de vue différent des autres médias. Moi, je le dis en tant que fou : "c'est la folie qui sauvera la démocratie !" »
A méditer.w
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