Beaucoup d’adolescents passés par l’ASE se retrouvent sans protection entre leurs 18 et leurs 21 ans, âge couperet de l’accompagnement par l’institution. Soumis à des parcours fracturés, ils représentent plus d’un tiers des jeunes qui vivent dans la rue.
Dans le studio de Willy, plusieurs photographies sont épinglées au-dessus du canapé-lit. Là, le visage de sa « mémé », avec qui il a passé beaucoup de temps jusqu’à ses 15 ans, avant qu’elle ne meure, seule figure stable de son enfance. A côté, les clichés de ceux, amis ou animaux, qui ont été, à un moment ou un autre, des présences structurantes dans un parcours chaotique. Quand la vie recommence à flancher, il les rappelle à son souvenir en regardant son mur.
Willy a grandi dans la campagne montpelliéraine. Son foyer familial, déjà émaillé de tensions, est marqué à ses 9 ans par la mort de son père, puis par l’incapacité de sa mère, malade, à prendre soin de lui. Placé à 16 ans par l’aide sociale à l’enfance (ASE), il est alors ballotté de foyer en foyer, où les conditions sont difficiles et la violence omniprésente. « Déjà pas un environnement sain pour se construire », réprouve le jeune homme à la tignasse brune, 21 ans aujourd’hui, qui a demandé, comme d’autres jeunes de l’ASE rencontrés, à garder son nom de famille secret.
Mais tout tangue vraiment lorsque se profile sa majorité. L’arrivée des 18 ans rime, pour tous les adolescents placés, avec l’urgence de déterminer comment se lancer dans la vie adulte, eux qui sont contraints à faire le grand saut sans soutien familial. La mère de Willy, lors de l’entretien de préparation de sa sortie de l’ASE, exprime son refus de l’accueillir de nouveau chez elle. « Un couteau dans le cœur », pour le garçon, qui, au lendemain de ses 18 ans, est alors soudain livré à lui-même.
Sans solution immédiate à son départ du foyer, il se retrouve à la rue, à l’instar de nombreux anciens placés comme lui, qui perdent toute protection à peine les 17 ans dépassés. Plus d’un tiers des jeunes sans domicile sont ainsi issus de l’ASE, notait une étude de la Fondation Abbé Pierre en 2019. Une proportion alarmante alors que les enfants placés ne représentent que 2 % de la population générale des mineurs.