FUTURA SANTE Julien Hernandez Publié le 22/09/2020
Plusieurs études publiées dans deux revues prestigieuses, Science et Nature, font état d'une découverte majeure dans le domaine de la biochimie humaine qui pourrait avoir des applications cliniques dans le futur.
Imaginez qu'on connaisse tous les mécanismes (dans le paradigme réductionniste de la biologie) d'une voie d'expression protéique impliquée dans les maladies auto-immunes et inflammatoires, le cancer et la sénescence. Depuis le 10 septembre 2020, c'est le cas. Cinq études publiées dans les revues Science et Nature font état de cette découverte majeure dans le domaine de la biochimie humaine. Pour nous aider à bien comprendre les implications de ces résultats, nous avons interviewé Nicolas Manel, directeur de recherche à l'Institut national de la science et de la recherche médicale (Inserm), chef d'équipe à l'Institut Curie au département immunité et cancer. Son laboratoire s'intéresse notamment aux relations entre les virus et le système immunitaire. Actuellement, son équipe travaille sur un projet de recherche visant à mieux comprendre comment nos cellules détectent les virus, c'est-à-dire comment une cellule se rend compte qu'elle est infectée. Ces travaux concernent directement les mécanismes de reconnaissance cellulaire du soi et du non-soi.
Une petite rétrospective de la découverte
Pour bien comprendre, mieux vaut commencer par le début. On sait depuis bien longtemps que du matériel génétique repéré dans le cytosol - le liquide dans lequel baignent les petits composants, aussi appelés organites, de nos cellules - engendre la production de marqueurs de l'inflammation et d'acteurs du système immunitaire comme les interférons (les interférons, nous en avons parlé très longuement un article précédent) et les cytokines.
Depuis 2009, on en sait un peu plus. Une protéine nommée STING pour Stimulator of Interferon Gene est essentielle à la production des interférons. Autrement dit, si on bloque son expression, pas d'interféron. C'est en 2013 qu'on avance un peu plus dans la compréhension complexe du mécanisme. On remarque qu'une protéine, qui se trouve dans le cytosol, synthétise un nouveau messager lorsque de l'acide désoxyribonucléique (ADN) est détecté. Elle est nommée cGAMP, parce qu'elle est produite à partir du Guanine triphosphate (GTP) et de l'Adénosine triphosphate (ATP). Cette dernière se lie à la protéine STING pour activer un facteur de régulation : IRF3 pour Interferon Regulatory Factor 3. La même année, on appréhende enfin les tenants et les aboutissants du mécanisme biologique. On découvre que c'est l'expression d'une enzyme en amont, que l'on nomme cGAS, dont tout le reste découle. Dans l'ordre, cela donne ceci : la présence d'ADN dans le cytosol active cGAS qui produit cGAMP. cGAMP se lie à STING et active la voie de transcription IRF3 dont découle la sécrétion d'interférons et de cytokines, et la boucle est bouclée ! Passons maintenant à la découverte.
Nous avons publié un papier dans la revue Cell, en 2018, qui démontre que le virus d'immunodéficience humaine (VIH) peut être détecté par cGAS dans le noyau. En effet, il existe une différence majeure entre l'ADN viral et notre ADN. Celui du virus est nu tandis que le nôtre est lié à des protéines appelées histones, ce qui forme (en partie) ce que l'on appelle la chromatine. Suite à cela, il a fallu comprendre le mécanisme de régulation de cGAS, c'est-à-dire, par quel mécanisme il s'exprime ou s'inhibe. En réalité, cGAS est lié aux histones 2A et 2B, et c'est pour cela qu'il ne se déclenche pas contre notre ADN. Les travaux publiés la semaine dernière apportent la confirmation structurale, c'est-à-dire que l'on peut maintenant voir le mécanisme directement à l'œuvre.
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