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Dessin Amina Bouajila
L’historienne Nathalie Sage-Pranchère retrace dans son dernier ouvrage l’évolution de ce métier de femmes aux services des femmes. Dès le XVIIIe siècle, les accoucheuses, souvent issues de milieux populaires, forment une élite du savoir, instruite et au fait des connaissances médicales. Ces «passeuses» ont sans cesse facilité la parole de leurs patientes sur leur corps.
Quelle place une société accorde-t-elle à la naissance ? La place qu’y tiennent les sages-femmes peut en être un bon indice. L’historienne Nathalie Sage-Pranchère relate, dans son ouvrage l’Ecole des sages-femmes. Naissance d’un corps professionnel (1786-1917) paru aux Presses universitaires François-Rabelais (2017), la constitution progressive de cette corporation. On parlait avant la Révolution de «matrones», de «ventrières», de «leveuses», de «ramasseuses» ou d’«accoucheuses». La généralisation du terme «sages-femmes», à la fin du XVIIIe siècle, marque leur professionnalisation, assortie d’une formation qui s’élabore sous sa forme contemporaine au XIXe siècle.
Depuis bien longtemps, des femmes en aident d’autres à accoucher. Mais la profession de sage-femme, reconnue et encadrée par une législation, est finalement récente. Pourquoi ?
Dès le XVe siècle, des sages-femmes «jurées» [qui ont prêté serment, ndlr] exercent dans certaines villes. Cette forme d’organisation locale et urbaine du métier ne concerne pas les campagnes. Jusqu’à la fin du XVIIIe, cette fonction est encore très marquée par une dimension religieuse : ce sont les sages-femmes, laïques, qui portent l’enfant au baptême ou pratiquent l’ondoiement, c’est-à-dire le baptême d’urgence pour les enfants en danger de mort. Au-delà de ce rôle, certaines reçoivent une vraie formation scientifique. A Paris, une formation obstétricale est délivrée dès le XIVe siècle à l’Hôtel-Dieu dans l’Office des accouchées. C’est l’école la plus ancienne d’Europe, voire du monde dans ce domaine. Mais jusqu’à la fin de l’époque moderne, les sages-femmes instruites sont très peu nombreuses. Dans les campagnes, des femmes font fonction d’accoucheuses sans statut particulier : ce sont les matrones, les maïrouna («marraines» en occitan)… Tous ces termes qualifient des femmes qui en accouchent d’autres, elles-mêmes souvent mères de plusieurs enfants mais libérées par l’âge des contraintes de la maternité.