Dans un service de réanimation parisien, en avril.
Photo Nathan Lainé. Hans Lucas
Des premières admissions de patients au déconfinement, le journaliste et écrivain Jean-Paul Mari a raconté chaque jour dans «Libé» le combat d’une équipe médicale contre le Covid-19. Il revient sur les moments forts de cette immersion dans un hôpital d’Ile-de-France.
«Qu’est-ce que c’est cette saleté ?» Je me souviens de cette question posée à voix haute, comme un cri, effaré et rageur. Ce matin-là, dans le bureau de crise de cet hôpital du nord-est de la banlieue parisienne, il y avait deux professeurs éminents, des praticiens hospitaliers, les médecins régulateurs et le responsable des «camions», les ambulances du Samu. Tous des urgentistes chevronnés, rompus au combat contre la mort, qui ont passé leur vie à affronter ce que les autres ne voient jamais, et ont tout encaissé, le manque de moyens et de personnel, les attentats du 13 Novembre et les catastrophes du quotidien. «Bon Dieu ! Qu’est-ce que c’est ce truc ?» Je me souviens de la voix du professeur Michel (1). Et du regard des autres. Ce n’était plus un accident, un simple virus qu’ils avaient face à eux, mais une plongée dans l’inconnu. Les chiffres donnaient le tournis : chaque jour, 700 appels aux urgences, une centaine d’admissions, des mourants qu’on vous amenait, poumons bloqués, bouches écartelées à la recherche d’air.