PUBLIÉ LE 9 DÉCEMBRE 2019
Le Dr BB répond aux détracteurs du soin en revenant sur certains principes fondamentaux qui ont orienté l’organisation des institutions psychiatriques et en essayant d’analyser les motifs de leur mise à mal dans les discours et les pratiques.
Lors de mon précédent billet, j’évoquais certaines attaques récurrentes contre les institutions soignantes. Dès lors, ce discrédit systématique véhiculé par les médias à l’égard des acteurs du soin devrait nous interpeller car, quand on veut tuer son chien, on l’accuse effectivement de la rage. Mais quels sont donc les enjeux sous-jacents ? Qui mène cette charge idéologique et avec quels profits ? Quels intérêts peuvent ainsi chercher à démanteler toutes les institutions publiques ?
Face à cette remise cause, il m’a paru également indispensable de pouvoir revenir sur la dimension du soin. Qu’est-ce que soigner signifie ? Qu’est-ce qu’un « établissement » thérapeutique ?
La question de l’autisme étant particulièrement sensible, elle nous servira de fil conducteur : dans un premier temps, il s’agira de se polariser sur des questions globales concernant les évolutions actuelles des dispositifs de soins. Puis, il sera important d’aborder plus concrètement, à l’occasion d’un prochain billet, les questions pratiques autour de la prise en charge de l’autisme, en essayant notamment de répondre de façon explicite à certains enjeux polémiques.
Commençons donc par cette affirmation péremptoire assénée ad nauseam : « Il faut fermer tous les établissements car il n’y a pas de bonne institution. »
Derrière cette revendication se profilent certains postulats :
- Un déni de la souffrance : en effet, l’argumentaire ressassé consiste à balayer d’un revers de la main la détresse et les empêchements au niveau de la personne incarnée – ainsi d’ailleurs que les possibilités réelles d’évolution à l’échelle individuelle …– pour prôner uniquement une transformation sociale. Cette « transition inclusive » suffirait magiquement à faire disparaitre toute forme d’affliction et d’incapacité.
- Un refus du singulier : ce discours de surplomb ne s’abaisse pas à considérer les spécificités de chaque situation. On préfère brandir des mots d’ordre publicitaires, assaisonnés à la novlangue politiquement correcte, pour en atténuer la dimension autoritaire et l’insipide artificialité.
- Une représentation simpliste de l’institutionnel, qui ne serait lié qu’à la présence de murs et de clôtures : il convient cependant de rappeler qu’une institution est un système de relations sociales organisé par des règles, orienté vers une fin, dotée d’une certaine stabilité temporelle garantie par des modes spécifiques de régulation. L’école est une institution, le mariage ou les réseaux sociaux numériques également ; de même que les réformes néolibérales. Paradoxalement, on pourrait dire que le mouvement de désinstitutionnalisation est aussi un processus institutionnel…Dans les années 60, Michel Foucault et Erwing Goffman ont effectivement pu décrire respectivement des institutions disciplinaires et totales, visant à produire des normes reproductibles, prévisibles et contrôlées de comportement. Or, c’est justement ce à quoi aspirent les pourfendeurs du soin, en imposant une solution unique pour tous, en exhortant chacun à mener « une vie agréable sur la base de l’égalité avec les autres ». Quels impératifs normatifs, quels préjugés sur ce que serait une « bonne existence » ce type d’affirmations charrie-t-il ? Hors les murs, il peut y avoir des grilles bien plus asservissantes qu’au sein d’espaces circonscrits pour accueillir la différence…
- Un désaveu de l’hospitalité et du droit d’asile : offrir l’hospitalité revient à donner quelque chose de soi pour accueillir l’étranger, au-delà de la simple prestation de service. Néanmoins, il ne s’agit pas d’intégrer ou d’inclure ; une certaine distanciation est nécessaire pour préserver l’altérité de l’accueilli, pour partager une manière de vivre ensemble qui puisse respecter les différences. Dans la Grèce Antique, le refus de l’hospitalité constituait un blasphème à l’égard des Dieux potentiellement incarnés dans cette figure de l’étranger. Quant à l’asile, il consistait en un lieu inviolable, préservé, où l’on pouvait trouver refuge ; un havre de paix pour se protéger des persécutions de l’extérieur
- Une destruction des communs : démanteler ainsi les institutions d’accueil reviendrait à mettre à mal cet impératif de soins inconditionnels, qui constitue le fondement même de notre solidarité collective, une conquête sociale issue notamment du programme du conseil de la résistance. Ainsi, la protection sociale et les services publics sont toujours dans le collimateur quand il s’agit de proposer une privatisation lucrative des interventions à destination des personnes vulnérables, en détricotant insidieusement toutes les organisations collectives accessibles à l’ensemble de la population sur l’intégralité du territoire.
- Une libéralisation forcée : l’instauration de subventions directement versées à la personne handicapée, censée être libre de choisir ses prestations, à la place du financement des institutions publiques, revient finalement à considérer l’individu comme une monade déconnectée de ses ancrages sociaux, comme un autoentrepreneur devant rentabiliser et optimiser ses investissements en termes de capital santé, sur un marché concurrentiel de l’offre et de la demande. Au fond, c’est une anthropologie néolibérale qui cherche ainsi à s’imposer, avec le double bénéfice de ratiboiser les dépenses publiques et d’ouvrir des marchés, tout en se parant des vertus de la bonne conscience charitable et libératrice.
- Une perversion de la fonction médicale : La remise en cause du soin suppose évidemment une transformation du positionnement du praticien. Voici quelques citations extraites de différentes versions du serment d’Hippocrate qui rappellent les obligations traditionnelles du médecin : « J'utiliserai le régime pour l'utilité des malades, suivant mon pouvoir et mon jugement ; mais si c'est pour leur perte ou pour une injustice à leur égard, je jure d'y faire obstacle. » « Dans toutes les maisons où je dois entrer, je pénétrerai pour l'utilité des malades, me tenant à l'écart de toute injustice volontaire ». « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. » « Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. » « Au service de mes patients, je favoriserai leur santé et soulagerai leurs souffrances. » « J’utiliserai de manière responsable les moyens que la société met à disposition et j’œuvrerai pour des soins de santé accessibles à tous. » « Même sous la pression, je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales pour des pratiques contraires à la dignité humaine. » Or, il est de plus en plus demandé au médecin d’exercer une fonction anthropotechnique, c’est-à-dire de le sommer avant tout de reconnaitre, de valider et de catégoriser, en établissant un diagnostic censé entériner un préjudice social. Dès lors, il ne s’agit plus de soigner, d’accompagner, de traiter, etc. mais de permettre l’ouverture de droits en officialisant l’appartenance à une catégorie discriminée ou à un statut de victime, du fait d’une constitution corporelle considérée comme inamovible, en rapport avec son infrastructure génétique, ou neurologique, ou autre. Ainsi, le substrat biologique de l’existence tendrait à être appréhendé comme une destinée, sans ouverture ni pas de côté à envisager.