« Le Monde » a assisté à un entretien entre un médiateur et un adolescent. Un exemple du travail de terrain mené auprès de 2 600 jeunes signalés pour radicalisation.
Après avoir ôté ses chaussures, Redouane (tous les prénoms ont été modifiés) est invité à passer au salon. Il vient voir Nabil, 16 ans, qui est assis, bras croisés et le regard sombre, à la table à manger. La mère de l’adolescent, verres fumés et cheveux défaits, et sa grand-mère maternelle, le visage encadré par un beau voile turquoise, sont sur le canapé. La conversation s’engage. Elle tourne immédiatement au pugilat : Nabil crie sur sa mère, qui hurle sur la sienne, cette dernière prenant fait et cause pour son petit-fils.
La famille est fissurée autour d’une double fracture générationnelle. Nabil accuse sa mère d’avoir un comportement « déshonorant » et de coucher avec des hommes au lieu de s’occuper de ses enfants. Un portrait de mère indigne qu’il brosse d’un trait : « Elle n’est pas musulmane. » L’adolescent a trouvé un cadre rassurant chez sa grand-mère algérienne, qui pratique un islam traditionnel plus strict : elle a elle-même cessé de faire la bise à sa fille depuis que cette dernière « boit de l’alcool ». Soutenu par son aïeule, Nabil n’a pas de mots assez durs pour accabler sa mère, perçue comme défaillante et occidentalisée.