Questions à Delphine Peiretti-Courtis, enseignante à l’Université d’Aix-Marseille, membre du laboratoire TELEMME et spécialiste de l’histoire de la race, du genre et de la médecine coloniale.
Votre recherche analyse l’importance des corps noirs dans l’imaginaire médical français. Pouvez-vous décrire comment cette image a évolué au fil des années ?
Au sein de la mouvance taxinomiste initiée par les naturalistes Linné, Buffon ou encore Blumenbach et d’un ordonnancement de l’humanité en races dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle se façonne un imaginaire dense et fantasmagorique autour des peuples de race noire jusqu’au milieu du XXesiècle. De la pigmentation de l’épiderme et de la morphologie crânienne aux dimensions de leurs muscles ou à la forme de leurs attributs sexuels, le corps des hommes et des femmes noirs d’Afrique subsaharienne fascine les savants français. A l’aide d’un arsenal méthodologique qui se met en place et se perfectionne tout au long du XIXe siècle, la race noire est étudiée comme une catégorie monolithique aux caractères physiques et moraux essentialisés et immuables. Toutefois, le regard sur les populations noires évolue à partir des années 1870-1880. En se rapprochant de son objet d’étude, le médecin de brousse fournit une multitude d’écrits, de descriptions, de mensurations et de photographies des peuples africains, qui nourrissent les analyses raciologiques des médecins de cabinet et font émerger la conscience de l’existence d’une diversité intrapopulationnelle en Afrique. L’ethnie apparaît et fragilise peu à peu les divisions raciales existantes. Si la race noire disparait progressivement au profit des ethnies dans la littérature médicale, les hiérarchies et les stéréotypes perdurent, ils changent juste d’échelle[1].