La franchise médicale de 30 euros imposée en 2011 aux étrangers sans papiers bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) va être prochainement supprimée, a annoncé lundi la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine.
«La promesse de François Hollande de supprimer le droit d’entrée à l’AME fera l’objet d’un texte de loi qui sera présenté dans les prochains jours», a déclaré Marisol Touraine devant la presse, à l’issue d’une table ronde sur l’exclusion.
Ce forfait avait été institué par la précédente majorité parlementaire, qui avait dénoncé l’explosion du nombre de bénéficiaires de l’AME et du coût de cette aide mise en place en 2000.
En 2011, l’AME a bénéficié à 220 000 personnes pour un coût global de 588 millions d’euros, contre 75 millions d’euros dans le budget 2000.
En juin 2011, deux députés, Claude Goasguen (UMP) et Christophe Sirugue (PS), avaient préconisé dans un rapport le maintien de cette aide aux sans-papiers à faibles ressources
Selon eux, il n’y a pas eu d’explosion de la consommation, ni «de fraude caractérisée», mais plutôt un fort accroissement du nombre de bénéficiaires (+185% depuis 2000).
INTERVIEW - Le Pr Cyril Tarquinio est professeur de psychologie de la santé à l'université Paul-Verlaine de Metz, directeur du master de psychologie clinique et psychothérapeute. Il vient de publier Comprendre et pratiquer les nouvelles psychothérapies (Éditions Dunod).
Depuis 1991, le mathématicien Alexandre Grothendieck vit reclus dans un lieu secret. Ses 20 000 pages de notes, conservées dans un cagibi de la fac de Montpellier, seront-elles enfin décryptées?
Seuls 72% des actes médicaux sont « pleinement justifiés », selon les médecins
Selon l'enquête TNS effectuée sur un échantillon national de 803 médecins, (hospitaliers, spécialistes et généralistes libéraux), interrogés par internet du 27 avril au 4 mai, une immense majorité des médecins considère inutile certains actes médicaux, les médecins généralistes libéraux étant les plus catégoriques. Ils estiment que 68% seulement des actes se justifient, devant les médecins hospitaliers (74%) et les spécialistes libéraux (76%). Pour leur propre spécialité, l'ensemble des médecins estiment à 20% que les actes sont « souvent » justifiés, à 56% qu'ils le sont « parfois » et 24% « très rarement ». Chez les généralistes, les réponses sont de 27%, 59% et 14%.
Interrogés sur les raisons de ces actes superflus, les avis des médecins sont plus partagés.
« la demande des patients » est la raison la plus souvent évoquée par 93% des généralistes, puis vient « la peur du risque judiciaire » pour 58% de l’ensemble des médecins.
D'autres motifs font l'objet de réponses plus divergentes: « problème de formation des médecins » (39%), « absence de référentiels partagés par les professionnels » (37%, mais 49% parmi les médecins exerçant depuis moins de 10 ans), « absence de contrôle des pratiques » (27%, mais 42% parmi les hospitaliers et 15% chez les généralistes).
Le sondage a été commandé par la Fédération hospitalière de France (FHF), son président Frédéric Valletoux estimant mercredi dans Le Figaro que cette enquête « montre la maturité des acteurs du système de santé ». Mais, poursuit-il, « il ne faut pas imaginer que les 28% d'actes dont les médecins doutent de l'utilité puissent tous être supprimés. Sinon, nous aurions une médecine froide, mécanique, sans humanité ».
Mais, a conclu le président de la FHF, « il vaut mieux lutter contre ces actes que de décider leur déremboursement ».
28 % d’actes injustifiés : les médecins évoquent d’abord la pression des patients
De l’aveu même du corps médical, tous les actes médicaux pratiqués ne seraient pas justifiés. Un sondage* TNS commandé par la Fédération hospitalière de France (FHF) et disponible en ligne (formatPDF), livre d’intéressantes statistiques. Les médecins interrogés considèrent que 72 actes sur 100 sont pleinement justifiés (76 % selon les spécialistes libéraux, 68 % selon les généralistes libéraux et 74 % selon les médecins hospitaliers).
Les généralistes se font plus sévères s’agissant de leur propre discipline : ils sont 27 % à estimer que plus d’un acte sur cinq n’est pas justifié en médecine générale.
Pour les généralistes (MGL), la demande des patients est à l'origine des actes injustifiés dans 93% des cas (sondage TNS).
La demande des patients est la première raison avancée (85 % des sondés y font référence ; chez les généralistes, le taux grimpe à 93 %). Suivent la peur du risque judiciaire (58 % des 803 médecins interrogés), un problème lié à la formation médicale (39 %), l’absence de contrôle des pratiques (27 %), les incitations économiques (20 %). L’absence deréférentiels partagés par les professionnels est citée par la moitié des jeunes médecins (exerçant depuis moins de dix ans).
Pas de sanction contre les médecins trop enclins à prescrire
La FHF a fait de la pertinence des actes l’un de ses chevaux de bataille. La lutte contre les actes superflus est un enjeu de santé publique autant qu’un enjeu économique, fait-elle valoir. Son président, interrogé ce 4 juillet par « Le Figaro », précise ne pas réclamer de sanctions contre les médecins qui prescrivent trop.
« Ce n’est pas notre logique, observe FrédéricValletoux. La première chose à faire, c’est de rendre l’information disponible. Dans les mois qui ont suivi notre campagne de communication sur les radiographies du crâne inutiles, leur nombre a reculé de 9 %. Il y a encore trop peu deréférentiels qui, sur la base d’études scientifiques incontestées, indiquent aux médecins quels actes prescrire dans quels cas - même si la Haute autorité de santé a commencé ce travail, sur la cataracte ou les césariennes. Mais on doit aussi modifier les modes de rémunération pour que les revenus des professionnels de santé libéraux et des hôpitaux dépendent moins des volumes d’actes ».
› D. CH.
* L’enquête a été réalisée du 27 avril au 4 mai 2012 auprès d’un échantillon national de 803 médecins (402 médecins hospitaliers, 201 spécialistes libéraux, 200 généralistes libéraux).
lequotidiendumedecin.fr 04/07/2012
Une société à soigner
« Le XIXe siècle aura été le siècle de l’hygiène publique », rappelle l’historien des sciences Gérard Jorland. L’urbanisation en particulier inquiète. Elle favorise les épidémies : la variole, le choléra, la tuberculose et la fièvre typhoïde font rage. À la croisée de la médecine humaine et vétérinaire, de l’économie, des statistiques, du génie civil et militaire comme de l’administration publique, l’hygiène publique met en évidence les causes sociales des maladies. Louis-René Villermé établit une corrélation entre le niveau de vie et les taux de morbidité et de mortalité. La leçon est claire : la pauvreté nuit gravement à la santé ! Sous la monarchie de Juillet et la IIe République, la misère ouvrière est au cœur des réflexions des hygiénistes. Ce qui ne les conduit pas à soutenir l’instauration d’un salaire minimum, mais une législation limitant le travail des enfants.
« Chacun cherche dans l’être des points d’amour qui soient pour lui, qui le “distinguent“, quitte à faire face aux ennuis que ça lui crée, quand il les trouve. Plus généralement, chacun, sujet ou groupe, tente d’exister en partant de son identité, dont il affronte les cassures, et transforme les secousses, comme il peut.
Mardi 5 juin. CHU de Liège, site du Sart Tilman, service de neurologie. Les baies vitrées de la chambre 14 offrent une vue plongeante sur une vaste forêt. Il y a même un balcon, mais la jeune femme allongée sur le lit médicalisé ultramoderne n'en profitera pas. Mutique, les yeux dans le vague, elle n'a aucune réaction apparente au salut de l'équipe médicale. "Nous sommes venus de France pour savoir dans quel état de conscience est Claire, précise sa mère à Marie-Aurélie Bruno, la neuropsychologue qui a organisé ce séjour d'une semaine. Est-elle loin, est-elle près ? Parfois, il n'y a plus de son, plus d'image pendant plusieurs jours. Parfois, elle peut se manifester davantage, bouger les membres spontanément et sur commande, cligner des yeux quand on lui pose une question."
La vie de Claire, tout juste 30 ans, s'est suspendue un jour de décembre 2004, à la suite d'un grave accident de voiture avec traumatisme crânien. Après deux mois en réanimation et deux ans dans un service spécialisé sans amélioration majeure, ses parents ont aménagé leur domicile pour l'accueillir en 2007. Cette famille du Nord-Pas-de-Calais a récemment déboursé 8 000 euros et 1 400 euros de taxi, des sommes que refuse de prendre en charge l'assurance-maladie, pour avoir l'avis du Coma Science Group de Liège. Cette équipe, dirigée par le charismatique neurologue Steven Laureys, 43 ans, l'un des chercheurs les plus en pointe dans ce domaine, a développé un protocole unique pour évaluer l'état de conscience d'individus dont le cerveau a été gravement endommagé.
Victimes de traumatisme crânien, d'anoxie (après un arrêt cardiaque par exemple) ou d'accident vasculaire cérébral des mois ou des années auparavant, la plupart ne sont plus comateux au sens strict. Le coma, qui dure rarement plus de quelques semaines, se définit par une absence de conscience, mais aussi d'éveil. Or, ces patients ouvrent spontanément les yeux et ont des cycles veille-sommeil. Mais, faute de communication, leur degré de conscience du monde extérieur et d'eux-mêmes reste un mystère pour leurs proches.
Pendant une semaine, avec une palette d'examens allant du plus simple au plus sophistiqué, volontairement redondants, les neuropsychologues, médecins, ingénieurs et kinés du Coma Science Group (une trentaine de personnes en tout) multiplient les stimulations et traquent le moindre indice de conscience. C'est ainsi que, dans bien des cas, dont quelques-uns ont fait la "une" des médias, l'équipe a pu établir que des personnes étiquetées en état végétatif (EV) présentaient en fait des signes de conscience. Un tel diagnostic peut changer beaucoup de choses. Les chances d'émerger et de retrouver une communication sont plus grandes en état de conscience minimale (ECM) qu'en cas d'état végétatif. Les patients en ECM peuvent ressentir des émotions, des douleurs dont il faut tenir compte au quotidien. Enfin, la présence ou non de conscience peut être déterminante dans la réflexion sur la fin de vie et la poursuite des soins.
Avant de commencer la première évaluation de sa nouvelle patiente, la neuropsychologue Marie-Aurélie Bruno prend le temps d'expliquer à la mère de celle-ci le planning chargé de la semaine. "Nous sommes une équipe clinique et de recherche, je vais vous dire quels tests relèvent de l'un ou de l'autre", dit-elle, en détaillant chacun et ce qu'il peut apporter.
MERCREDI 6 JUIN
Dina Habbal franchit le seuil de la chambre 14 avec une grosse valise. La jeune neuropsychologue d'origine syrienne en sort un casque futuriste recouvert de pastilles d'où émerge une forêt de fins câbles. Un boîtier, des écouteurs et deux ordinateurs portables complètent le dispositif. C'est un électroencéphalogramme (EEG) dit de haute densité, avec 256 électrodes. "L'EEG standard, avec 16 à 20 électrodes, enregistre l'activité électrique du cortex avec de bonnes performances temporelles, mais les résultats ne sont pas fiables pour la dimension spatiale, précise Marie-Aurélie Bruno. Avec l'EEG de haute densité, encore au stade de la recherche, l'objectif est d'améliorer la résolution spatiale."
Ce matin, l'appareil va permettre d'étudier les réponses du cerveau de Claire à des stimuli auditifs, des séries de bips avec des changements de tonalité. Chez les patients en état végétatif, l'examen peut mettre en évidence une altération des connexions entre les lobes temporal et frontal du cortex.
Tout en lui expliquant le déroulement du test, Dina installe le casque d'EEG sur la tête de Claire, lui met les écouteurs. Deux de ses soeurs, en visite ce jour-là, discutent des moyens d'expression de la jeune femme. "Quand elle tousse bien, elle sait qu'on va venir", assure Agnès, sa jumelle. "Oui, et elle soupire quand elle est agacée", ajoute Léa. Une demi-heure plus tard, le super EEG est terminé, l'enregistrement sera analysé dans les jours à venir.
Marie Thonnard, une autre neuropsychologue - elles sont au total sept dans l'équipe, toutes des femmes -, arrive pour l'un des autres examens cruciaux de ce bilan, le Coma Recovery Scale-Revised (CRS-R). Pendant le séjour, ce test comportemental sera pratiqué quotidiennement, à des horaires différents, par des opérateurs différents ; une stratégie qui augmente les chances d'objectiver de façon fiable les signes de conscience, souvent fluctuants chez ces patients.
Composé de plus de vingt items, le CRS-R mesure l'éveil, la perception auditive et visuelle, les capacités motrices et orales et la communication. Avec un matériel très réduit (quelques objets, dont un miroir et une cloche), il permet ainsi de distinguer les états végétatifs des états de conscience minimale. Steven Laureys et son équipe, qui ont fait la traduction française de cette grille américaine, militent depuis des années pour que son usage soit généralisé.
Pour stimuler Claire, Marie Thonnard lui masse d'abord l'épaule en l'appelant par son prénom, puis elle enchaîne les exercices. Le protocole est rigoureux : chaque demande est répétée quatre fois, le résultat est noté positif s'il y a eu au moins trois réponses. "Bouge les jambes, Claire, de toutes tes forces", ou encore "Fais entendre ta voix". L'ordre est toujours donné d'une voix chaleureuse, encourageante. S'il n'y a pas de réponse, la neuropsychologue tente les consignes par écrit. Puis elle lui demande de suivre du regard un miroir qu'elle passe devant ses yeux. L'équipe de Liège a montré que cet accessoire est plus efficace qu'un objet neutre pour détecter une poursuite visuelle, l'un des premiers signes de conscience. Mais les yeux de Claire ne suivent pas, peinent à rester ouverts.
Deux heures plus tard, la neuropsychologue recommence l'évaluation, mais cette fois c'est la maman qui donnera les ordres. "Parfois, les patients réagissent à la voix de leur entourage, pas à la nôtre", justifie Marie-Aurélie Bruno. Fixer un objet, serrer la main, cligner des yeux, réagir à la douleur... les exercices se succèdent. Membres de l'équipe, famille ou amis de passage assistent à la séance, aussi attentifs que l'examinatrice. Parfois, à force de fixer, de guetter le moindre geste, une expression sur le visage, on ne sait plus trop ce qu'on a vu. Et l'on mesure toute l'ambiguïté que peuvent ressentir les proches, persuadés, par moments, d'observer "quelque chose" ; sans avoir la certitude que ce n'est pas seulement un mouvement réflexe.
JEUDI 7 JUIN
"Aider ces patients, ce n'est pas uniquement se demander s'ils ont une perception du monde extérieur, c'est aussi leur apporter du confort : traiter les douleurs et la spasticité, améliorer leur état nutritionnel, souvent déficient ; prévenir les déformations des membres...", insiste le docteur Anne Mergam, l'interniste de l'équipe. Sa visite, systématique, permet de donner des conseils concrets pour la vie quotidienne. Mais, comme pour tous ses collègues, la recherche clinique n'est jamais bien loin.
Pendant ce temps, une partie de l'équipe présente le "modèle belge" à une délégation polonaise qui souhaite s'en inspirer. Steven Laureys n'a pas simplement monté un groupe de recherche et d'expertise clinique. Depuis 2004, il a créé toute une filière de soins pour les patients en état de conscience altérée. A l'échelle fédérale, 16 centres d'expertise (sorte de sas après la réanimation) et 30 structures de long séjour spécialisées fonctionnent en réseau, ce qui permet de gérer le flux de malades, d'optimiser leur prise en charge, de mener des enquêtes épidémiologiques, médico-économiques...
La dernière en date, en cours de publication, s'est intéressée à la qualité de vie du personnel travaillant auprès de ces patients non communicants. Près d'un soignant sur cinq (18 %) se déclare en état d'épuisement professionnel, dont 3 % sévèrement. Les infirmières et les aides-soignantes sont plus souvent touchées (24 %) que les médecins et les autres paramédicaux (8 % à 10 %).
A 13 h 30, la jeune femme de la chambre 14 est amenée au service de médecine nucléaire pour un PET-scan, ou tomographie par émission de positons. Principalement utilisé en cancérologie, cet examen d'imagerie qui visualise le métabolisme des cellules permet de distinguer les zones cérébrales relativement fonctionnelles de celles qui ne le sont plus. Aurore Thibaut, la kinésithérapeute qui accompagne Claire, commence par la mettre au calme et dans le noir pendant une heure, un temps mis à profit pour réaliser un électroencéphalogramme de repos. Une ampoule de glucose radioactif est injectée dans ses veines."La concentration de ce traceur devient maximale dans le cerveau au bout de trente minutes, c'est à ce moment qu'il faut réaliser le PET-scan", indique Aurore Thibaut.
Deux heures plus tard, dans son bureau du Centre de recherches du cyclotron, à quelques centaines de mètres du CHU, Steven Laureys examine les clichés avec satisfaction : les taches de couleur sont en faveur d'un état de conscience minimale, pas d'un état végétatif. "C'est le type d'examen qui aide bien les familles à comprendre l'état du cerveau de leur proche, explique le neurologue. Parfois, c'est en voyant un PET-scan sans signes d'activité qu'ils peuvent commencer à faire leur deuil."
VENDREDI 8 JUIN
Aujourd'hui encore, les examens sont très techno. La neuropsychologue Dina Habbal et Damien Lesenfants, un jeune ingénieur, vont tester sur Claire un prototype d'interface cerveau-machine (ICM) conçu par ce dernier dans le cadre d'un projet européen, Decoder. "Ce qu'on propose, c'est d'essayer de communiquer par ordinateur, car ce n'est pas parce qu'on ne peut pas parler qu'on ne sait pas parler", dit Damien à Catherine, la mère de Claire. Il déballe son matériel : un casque recouvert d'électrodes, un ordinateur portable et une étrange boîte noire avec des petits carrés jaunes et rouges. Cette stimulation est de nature visuelle, mais les ingénieurs travaillent aussi à la conception de systèmes basés sur l'audition ou le mouvement (réel ou imaginaire). Sur commande, le sujet doit se concentrer alternativement soit sur les carrés rouges, soit sur les jaunes, réalisés à partir de LED et flashant chacun à une fréquence différente. Normalement, à chaque changement, les neurones de la région occipitale (cortex visuel) se synchronisent par rapport à la fréquence de stimulation cible, ce qui peut par la suite être détecté par l'ordinateur.
En quelques minutes, Claire est équipée du casque EEG et d'écouteurs par lesquels sont délivrés les ordres préenregistrés. Comme pour tous les tests, plusieurs sessions sont réalisées. Pour l'instant, l'interface n'a été expérimentée que chez quelques patients, à titre de diagnostic, mais Damien rêve déjà d'en faire un outil de communication, simple et abordable financièrement pour les familles.
Il a en tête un système électronique implanté directement dans un bonnet et nécessitant un nombre minime d'électrodes, ainsi qu'un petit écran rétractable. "Une fois la question posée, la réponse cérébrale sera analysée en temps réel et traduite en mots afin que la famille puisse la comprendre directement", s'enthousiasme l'ingénieur.
LUNDI 11 JUIN
"Hier soir, Claire a répondu à la commande, je l'ai fait constater par des infirmiers", annonce sa mère, tout sourire, à Marie-Aurélie Bruno qui vient pour le test comportemental quotidien. Mais ce matin, de nouveau, la patiente est peu réactive. "Comment aller plus loin ? Est-elle capable de penser ?", poursuit Catherine. De plus en plus, on perçoit son soulagement de pouvoir échanger avec ces soignants à l'écoute et motivés. Les rapports avec le monde médical n'ont pas toujours été sereins. Des années après, cette femme énergique a encore du mal à digérer que le service de rééducation où était sa fille ait stoppé toute stimulation après quelques mois parce que Claire ne répondait pas assez. Si la famille n'était pas venue la reprendre, elle aurait été mise dans le "service des oubliés", où il n'y a même plus de kinésithérapie. Impensable pour ses proches.
"Il est possible que son état fluctue beaucoup. On va continuer à guetter, chercher cette petite voix intérieure", assure Marie-Aurélie Bruno. Malgré leur passion pour la recherche, leur empathie, des membres de l'équipe avouent qu'ils passent eux aussi par des moments difficiles. Pas évident de s'adresser normalement, pendant de longs tests, à des personnes qui ne répondent quasiment jamais.
Claire est encore à jeun en prévision de l'IRM cérébrale, programmée à 15 heures. Si elle ne parvient pas à rester immobile dans l'appareil, une anesthésie générale sera nécessaire. Au CHU de Liège, pour ces patients, l'examen dure plusieurs heures car il est particulièrement complet. Outre les coupes anatomiques classiques, les neuroradiologues étudient les connexions neuronales par une technique dite de tenseur de diffusion. Ils pratiquent aussi une spectroscopie, qui analyse des métabolites des neurones. Enfin, une IRM fonctionnelle (IRMf) leur permet de visualiser le cerveau en action.
En 2006, le Britannique Adrian Owen et l'équipe de Liège avaient fait sensation en publiant une observation étonnante dans la revueScience. Grâce à une IRMf, ils avaient pu objectiver des signes de conscience chez une patiente initialement considérée en état végétatif, en lui demandant d'effectuer deux tâches mentales : jouer au tennis, et visiter sa maison. Comme chez les volontaires sains, ces instructions ont activé chez la jeune femme deux zones cérébrales distinctes, démontrant qu'elle comprenait les ordres et était capable d'obéir aux instructions. Le test, validé depuis chez d'autres patients, fait désormais partie du bilan.
MARDI 12 JUIN
Le planning de cette dernière journée est toujours aussi chargé. Elle commence par un examen de recherche dont l'objectif est cette fois thérapeutique. Il s'agit d'une technique de stimulation transcrânienne par un courant continu de faible intensité. Cette stratégie a déjà été validée dans des troubles du langage et de la mémoire. Comme souvent, la conversation roule sur les espoirs de traitement. La mère de Claire a en main un article racontant des cas spectaculaires de réveil grâce à un somnifère, le zolpidem (Stilnox), mais ce médicament n'a rien changé chez sa fille. Marie-Aurélie Bruno confirme l'existence de cet effet paradoxal, qui fait l'objet d'une étude clinique. "Après la prise, on voit des patients se mettre à parler, à manger, à lire. C'est impressionnant, mais assez rare."
EPILOGUE
Depuis sa sortie de Liège, Claire a débuté un traitement par amantadine, un antiviral prescrit dans la grippe et la maladie de Parkinson. Ses bénéfices sur l'éveil sont moins intenses que ceux du zolpidem, mais observés plus fréquemment. Il y a quelques jours, ses parents ont été reçus par Steven Laureys pour les résultats. Sur un questionnaire sur les attentes des familles, Catherine avait fait sienne cette citation : "Le patient en état végétatif est un être humain à part entière, il n'est ni mort ni mourant". Les limbes où Claire se trouve sont plus proches des vivants : le bilan conclut qu'elle est en état de conscience minimale +. Un résultat positif mais qui, à lui seul, ne promet pas une récupération de la communication. La prochaine étape.
Sandrine Cabut - REPORTAGE
Lexique
Coma Absence de cycle veille-sommeil, pas de conscience de soi ni de l'environnement. Les yeux restent fermés même lors de stimulations. Les seuls mouvements sont réflexes.
Etat végétatif Cycles veille-sommeil avec ouverture spontanée des yeux, absence de conscience. Mouvements réflexes, pas de réponse aux stimulations ni de communication.
Etat de conscience minimale (ECM) Présence, parfois fugace mais reproductible, de signes de conscience tels que poursuite visuelle, sourires ou pleurs appropriés, localisation et manipulation d'objets, verbalisation, réponses à la commande. L'émergence de l'ECM se définit par la récupération d'une communication fonctionnelle.
Locked-in syndrome Pseud-coma, avec conscience préservée, dû à une atteinte du tronc cérébral. Dans la forme classique, l'immobilité est complète à l'exception des mouvements verticaux du regard et des paupières.
Source : Coma et états de conscience altérée, de Caroline Schnakers et Steven Laureys (Springer, 170 p., 55 €).
En France, 1500 personnes concernées
Tous les patients en état chronique non communicant devraient pouvoir bénéficier d'une évaluation précise de leur état de conscience, estime le professeur Lionel Naccache, neurologue et chercheur à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). Sans disposer de moyens humains et matériels aussi conséquents que ceux du Coma Science Group de Liège, son équipe mène aussi des activités de recherche et d'expertise clinique, effectuant régulièrement des évaluations de conscience chez des patients, à la demande de collègues hospitaliers ou de familles. Les examens peuvent s'étaler sur quatre jours.
En France, en l'absence de registre national, le nombre de ces personnes en état végétatif chronique ou de conscience minimale n'est pas bien connu. Elles seraient environ 1 500, selon une circulaire de 2002, qui a défini leurs conditions de prise en charge dans des unités de soins spécialisées. "Sur l'ensemble du pays, il existe une centaine de ces unités, soit au total 700 lits dont 130 en Ile-de-France", précise le docteur Jean-Jacques Weiss, directeur du Centre de ressources francilien du traumatisme crânien. De nombreux patients sont en attente de placement ou hébergés à domicile.
Au cours de ces bilans, "la difficulté est à la fois de ne pas passer à côté d'un état de conscience et de ne pas donner de fausse bonne nouvelle. En l'absence d'une méthode apportant un résultat certain, il faut associer plusieurs techniques", insiste Lionel Naccache. Selon lui, les informations les plus solides viennent de l'observation clinique, fondée sur un examen neurologique rigoureux et des évaluations comportementales répétées. Comme ses collègues belges, le chercheur français utilise l'échelle CRS-R (Coma Recovery Scale-Revised) et plaide pour une diffusion plus large de cet outil "qui a le mérite d'être sensible et rapide". L'équipe mise aussi beaucoup sur l'approche électrophysiologique, qui présente de multiples avantages (atraumatique, peu onéreuse, réalisable au lit du malade...).
Ces dernières années, ces chercheurs ont ainsi mis en évidence une signature neuronale de la conscience par l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale en réponse à des stimuli sonores complexes (par exemple des séries de sons entrecoupées de sons discordants). Des résultats qui valident le modèle de Lionel Naccache et Stanislas Dehaene, selon lequel la conscience est "un espace de travail global", sorte de "conversation cohérente à l'échelle du cerveau". Lionel Naccache note toutefois que les tests fonctionnels, pratiqués lors d'un électroencéphalogramme (EEG) ou d'une IRM cérébrale, n'ont de valeur que positifs. Troubles de mémoire, aphasie ou encore altération de la vigilance peuvent induire un résultat négatif en dehors de toute atteinte de la conscience.
Neurologue au CHU de Lyon et chercheuse (Inserm), Catherine Fischer accueille une cinquantaine de patients non communicants par an, pour expertise. Ses travaux ont contribué à démontrer le rôle essentiel des examens EEG, couplés à des potentiels évoqués (stimulations auditives, cognitives, sensorielles...) pour préciser le diagnostic et le pronostic des états de conscience altérée. En 2006, les chercheurs lyonnais ont ainsi publié une étude montrant que des EEG aident à prédire la probabilité d'éveil lors d'un coma anoxique. Ils ont aussi établi qu'après traumatisme crânien, la récupération et l'éveil, prévisibles tôt grâce à leurs examens, peuvent se faire lentement, plus d'un an, voire vingt-huit mois après l'accident. Un résultat qui, une fois de plus, incite à la prudence, notamment dans la communication avec les familles.
L'un des livres les plus surprenants de l'année s'appelle La psychanalyse en Palestine 1918-1948, publié par les éditions Campagne Première et superbement préfacé par Elisabeth Roudinesco, directrice de thèse de l'auteur, Guido Liebermann.
Fils d'un émigré allemand et d'une émigrée d'Ukraine installés en Argentine où la psychanalyse était florissante, Guido Liebermann partit en Israël au début de la dictature militaire du général Videla, puis, cherchant les liens entre le sionisme et la psychanalyse, il vint se former à Paris avant de retourner dans son pays. Par chance, Liebermann déborde de beaucoup les dates indiquées dans le titre, ce qui nous vaut une savoureuse balade sur les rapports houleux entre les différentes couches des aliya, les premières grandes vagues d'immigration en Palestine, qui commencent en 1881 : ce sont des juifs russes chassés par l'antisémitisme de Nicolaï II. A l'époque, survit en Palestine le Yishouv, une très vieille et très pieuse communauté juive, qui bénéficie de la protection ottomane. Deuxième vague, 1905-1914 : les arrivants sont des russes socialistes, et c'est avec eux que s'engage le conflit entre ces militants volontiers athées, fiers d'appartenir au courant de la Haskala, les "Lumières juives", et surtout, profondément laïques. Et ça coince.
Une fois encore, le mathématicien Jean-Paul Delahaye nous fait partager son plaisir pour sa discipline avec pédagogie, enthousiasme et intelligence. Toutes ces histoires de découvertes, de paradoxes, de concepts ou d'hommes sont rassemblées sous l'étiquette de la logique, mais en réalité elles sortent souvent de ce cadre strict. Il y est question d'infinis, de nombres, de géométrie, de probabilités, d'économie, de physique... Les sujets foisonnent et effectivement aiguillonnent notre pensée. Car, au-delà de la joie de les comprendre, ces exemples nous propulsent aux frontières de questions très fondamentales, comme : l'univers est-il un ordinateur ? Stimulant !
Votre grand-mère avait tort : les jeux vidéo aident à lutter contre la dépression
Malgré tous les à priori existants sur les effets des jeux vidéo, ils ont des effets bénéfiques pour nous et c'est prouvé ! Et oui, jouer à des jeux vidéo peut vous sortir d’une dépression, les geeks et les gamers vont être contents !
Les liens entre la créativité et la folie sont suspectés depuis longtemps : « Aucun grand génie n’a jamais existé sans un brin de folie » notait déjà Aristote. Mais certains auteurs –estime l’éditorialiste du British Journal of Psychiatry [1]– considèrent cette « prétendue association comme une vision romancée et naïve de la maladie mentale » ou une «incompréhension de la diversité des qualités d’imagination et d’humeur requises en matière d’originalité. »
Si ce débat ne sera sans doute jamais clos, une étude suédoise (réalisée sous l’égide du prestigieux Karolinska Institutet où sont décernés les Prix Nobel de médecine [2]) vient le relancer en montrant un « taux anormalement élevé » de maladies mentales, « en particulier de troubles bipolaires », chez des sujets créatifs (artistes, romanciers, chercheurs…). Portant sur plus de 300 000 patients avec « un trouble mental sévère » (schizophrénie, trouble bipolaire ou dépression unipolaire) hospitalisés en Suède entre 1973 et 2003, et comparés à leurs proches indemnes et à des sujets-contrôles, cette étude montre que les individus avec troubles bipolaires ainsi que les fratries non affectées des patients schizophrènes ou bipolaires se trouvent « sur-représentés dans les professions créatives. »
Les schizophrènes ne sont pas globalement plus nombreux à exercer des métiers créatifs, excepté dans les professions artistiques. En revanche, ni les individus souffrant de dépression unipolaire, ni leurs frères et sœurs ne sont sur-représentés dans les professions créatives, comparativement aux sujets-contrôles. Les odds ratios sont modérés, mais significatifs. Par exemple, après ajustement statistique pour le quotient intellectuel, les frères et sœurs de schizophrènes sont deux fois plus nombreux à exercer une profession artistique (odd-ratio : 1,93 ; intervalle de confiance à 95 % [1,47–2,54]). Et la probabilité d’exercer ce type de profession est environ une fois et demi plus grande chez les sujets bipolaires eux-mêmes (odd-ratio : 1,44 [0,76–2,72] IC 95 %) et pour leurs fratries (odd-ratio : 1,61 [1,11–2,34] IC 95 %).
Pour les auteurs, cette étude met en lumière une « association claire » entre certaines psychopathologies spécifiques et des professions créatives. Ce lien pourrait expliquer le « paradoxe de la persistance des troubles mentaux malgré l’évolution », dans la mesure où ces troubles seraient associés à une meilleure créativité chez les intéressés ou/et leur entourage, avantage venant peut-être compenser les inconvénients inhérents aux maladies mentales. Mais d’autres hypothèses sont envisageables et des travaux complémentaires sont nécessaires pour savoir si « la créativité se distingue d’autres traits humains, comme l’intelligence ou le langage », susceptibles d’interférer aussi avec un risque accru de pathologie psychiatrique.
Illustration : Antonin Arthaud, poète de génie accessoirement schizophrène
[1] Kay Redfield Jamison : « Great wits and madness: more near allied? » Br J Psychiatry 2011;199: 351-352.