Parlons sans peur de la psychiatrie
Par ANTOINE PELISSOLO Professeur de psychiatrie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, université Pierre-et-Marie-Curie
Deux problèmes de santé publique, qui font l’actualité, interpellent fortement la psychiatrie : l’autisme et l’alcoolisme. Souvent, dans les deux cas, le même rejet de la part des patients, des familles, voire des politiques : il ne s’agirait pas de maladies psychiatriques et les psychiatres ne seraient donc pas les bons professionnels.
Les diverses mesures ministérielles annoncées sur l’autisme (grande cause nationale 2012), essentielles pour rattraper le retard français, sont ostensiblement tournées vers l’aide aux structures médico-sociales (lieux de vie, programmes éducatifs…), légitimement, mais délaissent l’hôpital et la psychiatrie. Certes, les familles ont de bonnes raisons de remettre en cause certaines pratiques psychiatriques françaises.
La priorité longtemps donnée aux approches psychanalytiques dans l’autisme s’est traduite par une mise en cause des parents, qui se sont sentis accusés d’avoir une responsabilité dans l’apparition de la maladie de leurs enfants. En parallèle, les méthodes de soin et d’apprentissage, issues des théories comportementales et reconnues dans d’autres pays, n’ont pas pu se développer avant l’impulsion venue des associations de familles depuis dix ans. Malgré ces réalités indiscutables, un excès inverse de «dépsychiatrisation» totale de l’autisme, ne mettant l’accent que sur les aspects éducatifs, serait une grave erreur.
L’autisme est un handicap, c’est vrai, mais c’est aussi une maladie. Une maladie psychiatrique n’est pas forcément un dérèglement psychologique provoqué par le stress ou une influence familiale délétère. Les connaissances actuelles sur, par exemple, la schizophrénie ou les troubles obsessionnels compulsifs en font des pathologies très probablement liées à des dysfonctionnements cérébraux et, en partie au moins, sous-tendues par des facteurs constitutionnels et génétiques. Il n’est pourtant pas question de sortir ces affections du domaine de la psychiatrie car, seule une approche globale de la personne, à la fois biologique et psychologique, peut conduire à une compréhension de ces troubles et de leurs traitements.
Le même raisonnement s’applique à l’autisme, pour lequel aucun spécialiste n’est mieux placé que le psychiatre pour analyser les différents handicaps qui le composent : difficultés à comprendre l’autre, à décrypter les émotions, à se construire une représentation de soi-même, etc. C’est le cas dans le monde entier, et même en France, où des recherches de haut niveau sont menées par des équipes de psychiatrie et de pédopsychiatrie, en collaboration avec des chercheurs en neurosciences, sur les bases cérébrales et génétiques de l’autisme. Psychiatrie n’est synonyme ni d’asile ni de psychanalyse et les médecins formés à cette spécialité inventent et utilisent, en collaboration avec des psychologues, les thérapies comportementales et cognitives efficaces dans de nombreuses pathologies. Ils peuvent et doivent continuer à chercher des traitements médicamenteux et psychologiques à l’autisme.
A propos de l’alcoolisme, les lecteurs de Libération (17 janvier) ont pu lire que le cardiologue Olivier Ameisen considère que cette maladie doit sortir du«champ de la psychiatrie et de la honte». Comme les autres addictions, l’alcoolo-dépendance est une affection terrible qui génère de nombreux problèmes médicaux, mais dont le centre reste un trouble du contrôle des pulsions et des émotions, et donc bien une pathologie relevant de la psychiatrie. Le docteur Ameisen consacre tout son temps et son énergie à la défense (louable) d’un nouveau traitement potentiel, le baclofène, qui lui a permis de guérir lui-même de la dépendance à l’alcool. Très clairement, pour lui ou la journaliste qui a retranscrit ses propos, psychiatrie égale honte et folie. Et les bons traitements doivent venir d’ailleurs, de médicaments et de médecins soignant probablement de «vraies» maladies, comme nous l’entendons souvent dans la bouche de nos confrères non psychiatres. Ces prises de position sont méprisantes pour notre spécialité et notre travail, mais ça n’est pas le plus grave. Les principales victimes sont les malades eux-mêmes : ceux qui sont effectivement suivis en psychiatrie et qui n’ont vraiment pas besoin de cette stigmatisation supplémentaire, et ceux qui devraient l’être du fait de leurs troubles, mais qui y renoncent par peur de ce marquage social rédhibitoire.
Car la psychiatrie est avant tout une spécialité médicale, avec ses diagnostics, ses examens, ses traitements. Son domaine particulier est ce qui fait la dignité humaine : l’harmonie entre l’esprit, les sentiments et les comportements. Exercer en psychiatrie, qu’on soit médecin ou infirmier, c’est prendre soin de l’autre en l’aidant à se sentir plus en accord avec lui-même, à retrouver sa liberté de penser et d’agir, à reconstruire des liens solides avec ses semblables.
Même si beaucoup de progrès restent à faire, de très bons résultats sont accessibles dans nombre de maladies. Ce sera le cas à terme pour l’autisme ou la dépendance alcoolique. Mais à la seule condition que l’on mette de côté les combats stériles, que l’on respecte les malades quels qu’ils soient, «psychiatriques» ou non, et qu’on lutte contre les seuls poisons véritables : les maladies et les préjugés.