ISERE/3 ANS APRES LE MEURTRE DU COURS BERRIATPsychiatrie : comment concilier soins et sécurité ?
La psychiatrie n’est pas une affaire de chiffres. Et pourtant ! Si l’on en croit des médecins grenoblois, il y a dans la” file psychiatrie” 1 300 personnes suivies par les différents centres médico-psychologiques dépendant du centre hospitalier Alpes-Isère de Saint-Égrève. Malheureusement, il n’y aurait pas tout à fait quatre médecins pour les suivre. Le décalage entre ces deux chiffres prend encore un peu plus de sens si l’on considère qu’environ 10 % de ces malades peuvent présenter un danger s’ils ne sont pas suivis ou ne prennent pas leur traitement. Et l’équation peut même faire peur si l’on écoute certains médecins.
« Là où il faudrait au moins une heure d’entretien avec le patient, on ne peut consacrer que 10 minutes »
« Il faudrait pouvoir accorder à ces patients au moins une heure une fois par mois. Dans les faits, c’est plutôt 10 minutes d’entretien avec la nécessité d’évaluer le patient et aussi de renouveler son traitement. Sauf que l’on ne parle pas de rhume… On parle de troubles de la personnalité qui peuvent, dans certains cas, aboutir à des expressions violentes. »
En bref, le cauchemar des médecins, c’est l’affaire Guillaud (lire en page 3). « il n’y a pas assez de moyens en psychiatrie générale pour traiter correctement tous les cas. On fait face à une explosion du nombre de cas de schizophrénie, notamment à cause d’une certaine banalisation du cannabis ».
Déjà deux agressions graves à Grenoble depuis la fin de l’été
Un autre médecin complète. « Le problème, c’est que certains ont besoin d’un traitement pour ne plus avoir d’hallucinations. Mais dès qu’ils commencent à aller mieux, ils arrêtent le traitement et rechutent, lentement ou pas, dans des délires. »
Rien que depuis la fin de l’été, deux agressions graves ont eu lieu à Grenoble et sont le fait de personnes souffrant de schizophrénie. Des personnes qu’il n’est pas nécessaire, selon ces médecins, d’enfermer en permanence, mais qui doivent être encadrées et entourées. « Pour l’instant, il n’y a pas d’hôpital de jour à Grenoble. L’hôpital de jour, c’est l’endroit où un malade va venir pour faire des activités, pour avoir un contact avec du personnel qui le connaît », expliquent les spécialistes. « Parfois, il suffit d’un signe pour savoir qu’un patient va mal et peut basculer. C’est une question d’expérience et de connaissance du patient. Mais si on n’a pas cette possibilité de les voir souvent, on ne peut pas les suivre et faire de prévention. Après l’affaire Guillaud, tout ce qui a été fait, c’est de remonter la hauteur des clôtures. Ce n’est pas de cela dont on a besoin », raconte une infirmière du CHAI.
Pour Diane Bourdery, médecin psychiatre responsable de l’unité post-urgences, il y a quand même eu des changements positifs. « Un pôle urgences dans les locaux des urgences du CHU a été créé, il y a aussi la loi du 5 juillet dernier qui représente des contraintes pour nous, mais qui est un plus pour les patients. Les sorties sont beaucoup plus balisées, nous devons définir des programmes de soins en externe. Il y a des avancées. Le drame de 2008 a réellement changé les mentalités de beaucoup de nos confrères, cela a été un choc et certains ont quitté l’hôpital public depuis cette affaire, parce que c’est une grosse responsabilité que d’avoir à s’occuper de tels patients. »
« Il ne faut pas se voiler la face, nous manquons de moyens. Tout ce que nous faisons de plus qu’avant, nous le faisons à moyens constants. Il y a toujours trop peu de lits dans les différentes unités de psychiatrie. Lorsque certains sortent en essai pour un week-end, il arrive que l’administration réattribue très rapidement son lit à un autre patient. Mais si le premier revient au cours du week-end parce qu’il est angoissé par le monde extérieur, les confrères sont obligés de faire un choix, en gardant le cas le plus sérieux. Pour mes confrères, je sais que c’est une réelle angoisse. »