Des vies à recoudre
"Ce n'est pas en six mois qu'on réinsère les gens !", s'emporte Valérie Boulogne. Quelques minutes plus tôt, la coordinatrice de l'association ProxiPol a eu Pôle Emploi au téléphone. L'organisme ne voulait pas prolonger le contrat aidé d'une couturière salariée dans la structure saint-poloise. "Ils estimaient qu'elle était apte à un retour à l'emploi. Mais ce n'est pas maintenant qu'il faut la laisser tomber !" Le temps passé au sein de l'association devrait en effet aider l'ex-chômeuse à valider son oral d'entrée pour le concours d'aide-soignante.
Dans les locaux de l'association, serrés dans un petit immeuble de la rue Gittinger, on trie des vêtements usagés, on les recoud, on confectionne aussi des pièces originales, comme dans un atelier "ordinaire". Mais surtout on réinsère. "Il y a des gens qui tremblent lorsqu'ils arrivent ici tellement ils ont perdu confiance. Quand ils sortent après deux ans ici, ils croient de nouveau en eux", explique Stéphanie Anglais, encadrante technique.
Le gros de l'activité repose sur la récupération de vêtements donnés par des particuliers. "En ce moment, c'est le changement de saison, on peut recevoir jusqu'à dix sacs par jour", dit Valérie Boulogne, coordinatrice de l'association.. Les pièces du rez-de-chaussée sont pleines à craquer de pantalons, vestes et chemises. Une fois lavés et remis en état, ces vêtements sont donnés à des personnes en situation d'urgence ou vendus aux membres de l'association (341 membres qui ont cotisé 6 euros l'année), au prix de 1 € le jean, 50 centimes la paire de chaussures ou 3 euros le manteau d'hiver. Certains clients viennent d'ailleurs toutes les semaines regarder les nouveaux arrivages. "Il arrive que des gens se croient à la brocante et essayent de négocier. Je dis non", soupire Valérie Boulogne.
Au premier étage, à l'atelier de retouches, Houcine, Nathalie et Zahra s'affairent derrière leurs machines à coudre. Ils réparent des fermetures éclairs, recousent des boutons... "Et quand on a des moments de creux, on fait des créations". Une cliente dunkerquoise s'est récemment adressée à eux pour assembler une robe à partir de... cravates. Houcine a passé une vingtaine d'heures à la réaliser. L'atelier de la rue Gittinger a également à son actif une tente saharienne de 12 mètres de long, des banderoles pour un syndicat, ou 50 costumes de carnaval pour une association.
Ils sont quinze, entre 22 et 57 ans, à travailler à l'association sous le régime des contrats aidés pour une période maximum de deux ans. "Je ne leur dis pas forcément la durée de leur agrément, explique la coordinatrice. Pour ne pas qu'ils renoncent à chercher un emploi pendant leur passage chez nous." Ils touchent un peu plus de 800 € pour 26 heures de travail par semaine. "Il faut leur apprendre ou réapprendre le respect des horaires mais aussi les accompagner dans leurs démarches de CAF, de CMU ou de logement, pointe Stéphanie Anglais. Une fois que tous ces problèmes sont résolus, c'est plus simple de retrouver un emploi".
A quelques rues de là, dans la petite pièce surchauffée d'un bâtiment municipal, Édith et Angélique font tourner la laverie. Avec du matériel semi-professionnel, elles assurent le lavage des vêtements des membres de l'association qui n'ont pas d'équipement chez eux. A 6€ la machine à laver de 10 kgs, 4 € le séchage, on retrouve des tarifs proches de ceux d'une laverie automatique. "Nous sommes sur les prix du marché pour qu'on ne considère pas qu'on fait de la concurrence déloyale", dit Valérie Boulogne.ProxiPol assure également un service de portage du linge chez 37 personnes âgées et/ou dépendantes de Saint-Pol.
L'association, présente également dans d'autres activités sociales (alphabétisation, travail sur l'équilibre alimentaire, aide aux courses, etc.) affiche un taux de placement de 50%, "là où la moyenne nationale est de 20%", rappelle Valérie Boulogne. Parmi les dernières partantes qui ont retrouvé un emploi, l'une s'occupe de nettoyage au Port autonome de Dunkerque, l'autre a pris en charge la retouche de toile bleue dans une entreprise, une autre encore travaille comme aide à domicile. "Parce qu'aujourd'hui, le métier de couturière, il n'y a plus grand chose."