Point de vue
La parapsychologie freudienne
Michel Onfray, philosophe
16.10.10
Dans le Vocabulaire de la psychanalyse, de Laplanche et Pontalis, qui fait autorité, on lit à l'entrée "métapsychologie" : "Terme créé par Freud pour désigner la psychologie qu'il a fondée, considérée dans sa dimension la plus théorique. La métapsychologie élabore un ensemble de modèles conceptuels plus ou moins (sic) distants de l'expérience tels que la fiction d'un appareil psychique divisé en instances, la théorie des pulsions, le processus du refoulement, etc."
Gros poisson conceptuel donc... Ces informations permettent de conclure qu'en forgeant ce mot Freud renvoie bien à ce qui se trouverait derrière la psyché - ou au-delà.
Vers 60 avant l'ère commune, Andronicos de Rhodes, onzième successeur d'Aristote, classe thématiquement l'oeuvre complète de son maître : l'histoire des animaux et la théorie du ciel, la politique et l'éthique, la logique et la poétique, la physique et la rhétorique, etc. Une fois l'ensemble de la production rangé, reste un texte inclassable et inclassé qu'il installe après la physique : meta physis...
Au-delà de la petite histoire, retenons que la métaphysique nomme la discipline qui suit immédiatement la physique, la science de la nature. Derrière la nature, il y aurait donc autre chose, un au-delà, un arrière-monde dirait Nietzsche. En créant le néologisme métapsychologie, Freud n'a pas pu ne pas penser à la métaphysique comme discipline de l'au-delà de la physique. La métapsychologie enseigne donc un au-delà de la psychologie.
Je ne peux m'empêcher de mettre en relation métapsychologie et parapsychologie... Freud lui-même ne récuse pas la parapsychologie ou l'occultisme. Lui qui manifestait des comportements superstitieux, pratiquait les rites de conjuration, souscrivait à la numérologie, avouait pratiquer la télépathie avec sa fille, écrivait à Eduardo Weiss le 8 mai 1932 : "Qu'un psychanalyste évite de prendre parti publiquement sur la question de l'occultisme est une mesure d'ordre purement pratique et temporaire uniquement (sic), qui ne constitue nullement l'expression d'un principe"... On aura bien lu : précaution temporaire et non question d'incompatibilité doctrinale.
Dès L'Interprétation des rêves (1900), Freud défend l'idée d'un "héritage archaïque" de tout un chacun transmis mystérieusement, en dehors de toute génétique, de toute anatomie, de toute biologie, de toute physiologie, de toute matière, du premier homme à tout un chacun, y compris au lecteur de ces lignes... Dans Le Moi et le Ça (1923) (XVI. 266), Freud défend l'idée que certaines psychonévroses subies par tel ou tel ici et maintenant trouvent leur origine dans des régressions remontant à... l'époque glaciaire !
Avec Moïse ou le monothéisme (1934-1938), Freud se surpasse. On y lit en effet que "la science biologique ne veut rien savoir de la transmission des caractères acquis aux descendants. Mais nous avouons en toute modestie (sic) que nous ne pouvons malgré tout pas nous passer de ce facteur dans l'évolution biologique" (193-194).
Pour quelle étrange raison Freud ne peut-il s'en passer ? Parce qu'il avoue lui-même être dans l'audace du conquistador, une posture revendiquée par lui contre celle du scientifique. La preuve dans cette lettre à Fliess : "Je ne suis absolument pas un homme de science, un observateur, un expérimentateur, un penseur. Je ne suis rien d'autre qu'un conquistador par tempérament, un aventurier si tu veux bien le traduire ainsi, avec la curiosité, l'audace et la témérité de cette sorte d'homme."
Métapsychologue, parapsychologue, Freud, soucieux de voir ce qui se trouve après la psychologie, au-delà d'elle, sait bien que personne ne viendra lui contester ses trouvailles, car personne ne va là où il prétend être allé avec force autoanalyse et prétendus dépeçages de cas cliniques en quantité - qui s'avèrent manquer cruellement quand on effectue un réel travail d'historien de la psychanalyse...
Qui peut rivaliser avec un homme qui se prétend scientifique, mais revendique l'audace du péremptoire ? Quel individu soucieux de raison, de logique, de raisonnements, de preuves et d'arguments, peut ébranler un tant soit peu le discours fantasque d'un homme qui prétend que, si le réel ontogénétique dit une chose, mais que la fiction phylogénétique en dit une autre, alors cette dernière sera plus vraie que l'autre, parce qu'elle est la voie royale de l'audacieux ? Quelle démonstration psychologique peut ravager une folie métapsychologique ? Quel philosophe peut débattre raisonnablement avec un défenseur de l'occultisme ?
Quel penseur pourrait combattre le délirant qui croit plus à ses légendes (le complexe d'Œdipe, la horde primitive patriarcale, le meurtre du père, le banquet cannibale, la crainte de la castration, etc.) qu'à la réalité historique qui invalide toutes ces histoires à dormir debout ? Lire ou relire L'Irruption de la morale sexuelle, du psychanalyste Wilhelm Reich (Payot), pour un démontage en bonne et due forme...
Le combat est perdu d'avance. On ne convertit pas l'onaniste jouissant de ses fictions dans le confort de son arrière-monde. La psychanalyse est bien une folie à plusieurs, ce qui se nomme aussi une hallucination collective. Malheur au philosophe qui enseigne la nudité du roi freudien : un bûcher l'attend après le pal et le rouet, la poix et l'éviscération...
Mais qui se souvient du nom de l'accusateur de Socrate condamné à mort pour avoir philosophé ?