Critique
Que reste-t-il de Mai 68 ? Au moins un spectacle réussi !
03.06.10
Allez au Théâtre de la Bastille, à 19 h 30. Vous en sortirez avant 21 heures, la tête dans les nuages, après avoir vu Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, un spectacle drôle, touchant et sincère, signé par un collectif qui porte bien son nom, L'Avantage du doute. Ce collectif est né de la rencontre entre les comédiens flamands de la compagnie tg STAN, et cinq comédiens français, qui ont travaillé ensemble, en 2005, et proposé un spectacle qui s'appelait justement L'Avantage du doute.
Après, les Français ont décidé de poursuivre l'expérience, en suivant les règles des Flamands : pas de metteur en scène, primauté du collectif, chacun assumant la responsabilité à toutes les étapes de la création et du jeu. Une nouvelle donne de la démocratie au théâtre, en somme.
Cette démarche s'accorde particulièrement bien à Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, le premier spectacle de L'Avantage du doute, né des questions que se sont posées les comédiens en 2008, quand fut commémoré le quarantième anniversaire de Mai 68.
C'était quoi, 68 ? Et ça a donné quoi ? La plupart des membres du collectif sont bien trop jeunes pour avoir un lien direct avec l'événement. Ils l'ont appris dans les livres d'histoire, ou en ont entendu parler par leurs parents. Le monde dans lequel ils vivent n'a plus grand-chose à voir avec ce temps, qui leur paraît à la fois homérique, au sens ancien, enfoui et totalement polémique, parce qu'ils en sont les héritiers, malgré eux.
Impossible legs
Alors, ils attaquent, parce qu'ils se sentent mal. Largués sur une planète pourrie, livrés à la brutalité de la globalisation, piégés par la stature de leurs aînés, "héros" d'une révolution qui semble interdite à leur génération. C'était facile, pour vous, leur disent-ils. Mais nous ? Que nous reste-t-il ? Comment trouver une place ? Que faire de votre impossible legs et du pouvoir que vous vous accordez ? Toutes ces questions n'ont rien de nouveau, loin de là. Elles traversent la société depuis des années, nourrissent les travaux de sociologues, et prennent souvent dans les débats la forme de bons vieux clichés.
L'intérêt de L'Avantage du doute tient au fait qu'il repart de zéro. Les comédiens ont beaucoup travaillé, lu et parlé avec des gens. Et puis, ils avaient une chance : dans leur collectif, il y a Simon Bakhouche, qui pourrait être leur père. Il a 60 ans, l'âge d'avoir vécu Mai 68.
C'est lui qui donne le titre du spectacle. Lui qui se tient, avec sa calvitie et ses rides, au milieu de trois filles en pleine forme : Mélanie Bestel, Judith Davis et Claire Dumas. Simon sourit beaucoup, avec le recul tendre de celui qui ne veut pas s'imposer. Les filles y vont, comme on dit. En tout cas au début du spectacle, joué sans prétention et sans décor, sinon un canapé rouge.
L'air de rien, de multiples histoires se croisent et se répondent, dans la pièce, qui se nourrit du va-et-vient entre aujourd'hui et hier, naïveté et profondeur, ironie et colère. Sous son allure improvisée, la soirée est très construite, et honnête. Elle n'épargne personne. Les filles règlent leurs comptes entre elles, sur le mode : "Et toi, qu'est-ce que tu fais de ta vie ?", comme elles règlent celui des pères et mères, sur le mode : "Et vous, qu'est-ce que vous nous embêtez avec votre histoire ?"
Le plus beau, c'est l'émotion qui se dégage peu à peu et vous emmène, à travers le récit de Simon, dans un voyage en Italie, à la recherche de Fellini. Un voyage sans fin, à l'image du désir d'être et de comprendre qui fait le sel de Tout ce qui nous reste de la révolution...
Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon. Par le collectif L'Avantage du doute. Théâtre de la Bastille. 76, rue de la Roquette. Paris 11e. Mo Bastille. Tél. : 01-43-57-42-14. De 13 € à 22 €. Du mardi au samedi, à 19 h 30 ; dimanche 6, à 15 heures. Jusqu'au 12 juin. Durée : 1 heure 20. Sur le Web : Theatre-bastille.com.
Brigitte Salino
Que reste-t-il de Mai 68 ? Au moins un spectacle réussi !
03.06.10
Allez au Théâtre de la Bastille, à 19 h 30. Vous en sortirez avant 21 heures, la tête dans les nuages, après avoir vu Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, un spectacle drôle, touchant et sincère, signé par un collectif qui porte bien son nom, L'Avantage du doute. Ce collectif est né de la rencontre entre les comédiens flamands de la compagnie tg STAN, et cinq comédiens français, qui ont travaillé ensemble, en 2005, et proposé un spectacle qui s'appelait justement L'Avantage du doute.
Après, les Français ont décidé de poursuivre l'expérience, en suivant les règles des Flamands : pas de metteur en scène, primauté du collectif, chacun assumant la responsabilité à toutes les étapes de la création et du jeu. Une nouvelle donne de la démocratie au théâtre, en somme.
Cette démarche s'accorde particulièrement bien à Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, le premier spectacle de L'Avantage du doute, né des questions que se sont posées les comédiens en 2008, quand fut commémoré le quarantième anniversaire de Mai 68.
C'était quoi, 68 ? Et ça a donné quoi ? La plupart des membres du collectif sont bien trop jeunes pour avoir un lien direct avec l'événement. Ils l'ont appris dans les livres d'histoire, ou en ont entendu parler par leurs parents. Le monde dans lequel ils vivent n'a plus grand-chose à voir avec ce temps, qui leur paraît à la fois homérique, au sens ancien, enfoui et totalement polémique, parce qu'ils en sont les héritiers, malgré eux.
Impossible legs
Alors, ils attaquent, parce qu'ils se sentent mal. Largués sur une planète pourrie, livrés à la brutalité de la globalisation, piégés par la stature de leurs aînés, "héros" d'une révolution qui semble interdite à leur génération. C'était facile, pour vous, leur disent-ils. Mais nous ? Que nous reste-t-il ? Comment trouver une place ? Que faire de votre impossible legs et du pouvoir que vous vous accordez ? Toutes ces questions n'ont rien de nouveau, loin de là. Elles traversent la société depuis des années, nourrissent les travaux de sociologues, et prennent souvent dans les débats la forme de bons vieux clichés.
L'intérêt de L'Avantage du doute tient au fait qu'il repart de zéro. Les comédiens ont beaucoup travaillé, lu et parlé avec des gens. Et puis, ils avaient une chance : dans leur collectif, il y a Simon Bakhouche, qui pourrait être leur père. Il a 60 ans, l'âge d'avoir vécu Mai 68.
C'est lui qui donne le titre du spectacle. Lui qui se tient, avec sa calvitie et ses rides, au milieu de trois filles en pleine forme : Mélanie Bestel, Judith Davis et Claire Dumas. Simon sourit beaucoup, avec le recul tendre de celui qui ne veut pas s'imposer. Les filles y vont, comme on dit. En tout cas au début du spectacle, joué sans prétention et sans décor, sinon un canapé rouge.
L'air de rien, de multiples histoires se croisent et se répondent, dans la pièce, qui se nourrit du va-et-vient entre aujourd'hui et hier, naïveté et profondeur, ironie et colère. Sous son allure improvisée, la soirée est très construite, et honnête. Elle n'épargne personne. Les filles règlent leurs comptes entre elles, sur le mode : "Et toi, qu'est-ce que tu fais de ta vie ?", comme elles règlent celui des pères et mères, sur le mode : "Et vous, qu'est-ce que vous nous embêtez avec votre histoire ?"
Le plus beau, c'est l'émotion qui se dégage peu à peu et vous emmène, à travers le récit de Simon, dans un voyage en Italie, à la recherche de Fellini. Un voyage sans fin, à l'image du désir d'être et de comprendre qui fait le sel de Tout ce qui nous reste de la révolution...
Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon. Par le collectif L'Avantage du doute. Théâtre de la Bastille. 76, rue de la Roquette. Paris 11e. Mo Bastille. Tél. : 01-43-57-42-14. De 13 € à 22 €. Du mardi au samedi, à 19 h 30 ; dimanche 6, à 15 heures. Jusqu'au 12 juin. Durée : 1 heure 20. Sur le Web : Theatre-bastille.com.
Brigitte Salino