A Lyon, la psychiatrie derrière des barreaux neufs
21/05/2010
PSYCHIATRIE - Michèle Alliot-Marie et Roselyne Bachelot, ministres de la Justice et de la Santé, doivent inaugurer cet après-midi à Lyon le premier hôpital psychiatrique pour détenus. Une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) ouverte depuis mardi et qui accueillera à terme 60 malades. Elle est baptisée «unité Simone Veil», en hommage au rôle joué par l’ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé d’Edouard Balladur dans l’amélioration des soins carcéraux. Mais l’académicienne a reçu cette semaine une lettre ouverte (1) de médecins, d’infirmiers et de syndicalistes inquiets de cette ouverture. En août 2007, Nicolas Sarkozy avait présenté la future UHSA de Lyon comme un «hôpital fermé pour pédophiles». Par la suite, les responsables du programme avaient ramé pour rattraper le coup, rassurer sur un projet qui n’a rien à voir avec ce qu’annonçait le Président. Des psychiatres continuent, cependant, de s’inquiéter de la qualité de soins possibles dans un tel établissement. Explications sur ce nouvel «hôpital-prison»...
Une structure pour qui ?
Construite dans le parc du Vinatier, vaste et passionnant hôpital psychiatrique lyonnais, l’UHSA accueillera des détenus, prévenus ou condamnés. Les indications restent assez ouvertes, mais le public devrait être essentiellement constitué de psychotiques, de détenus en état de dépression majeure ou souffrant de graves troubles de la personnalité. Les responsables n’excluent pas d’accueillir aussi, le temps d’un diagnostic, des détenus concernés par la rétention de sûreté, prévue pour les personnes lourdement condamnée (quinze ans de détention ou plus) et qui présentent, en fin de peine, de sérieux risques de récidive.
A l’UHSA, certains malades seront soignés avec leur consentement, d’autres hospitalisés d’office. Jusqu’à présent, note Pierre Lamothe, psychiatre et responsable du pôle «santé mentale des détenus et psychiatrie légale» dont dépend l’UHSA, «seuls les détenus dangereux pouvaient être hospitalisés, en raison du risque qu’ils représentaient». Les autres se contentaient de soins ambulatoires en détention, ou bien étaient placés - sur décision du directeur de la prison - dans l’un des 26 services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) français, pour des soins de jour seulement. Désormais, les médecins pourront prescrire l’hospitalisation à l’UHSA lorsqu’un détenu «est en souffrance, même s’il ne constitue pas un danger en détention».
Avec quels moyens ?
Le coût annuel de l’UHSA serait de 7 millions d’euros pour la seule partie santé. En terme de coûts journaliers, on s’approche du prix quotidien d'un lit de réanimation. «Mais le coût de l’abandon de gens inanimés socialement et psychiquement est beaucoup plus élevé», évacue Pierre Lamothe. Son UHSA comptera trois unités de 20 lits. Seule la première, prévue pour les patients en décompensation aiguë, a ouvert mardi, avec deux psychiatres et une vingtaine d’infirmiers, aides-soignants et agents de service hospitalier. L’idée est d’avoir toujours trois personnes présentes au moment d’ouvrir une porte, en raison de la difficulté à maîtriser certains malades. A terme, l’UHSA comptera environ une centaine de soignants, dont 5 psychiatres. Une prime de 234 euros brut avait été promise à l’embauche, puis ramenée à 117 euros. Une partie du personnel est donc en grève depuis mardi et des réquisitions ont été prononcées pour faire tourner l’UHSA.
Hôpital ou prison ?
Officiellement, il s’agit d’une «structure médicale avec une sécurité périphérique». Mais lorsqu’on s’en approche, au fond du parc du Vinatier, cela ressemble furieusement à une prison. Des murs de six mètres de haut renforcés de barbelés, de douves. Un poste de garde aux vitres blindées. A l’intérieur de l'UHSA, une cinquantaine de surveillants de l’administration pénitentiaire assurent la sécurité, la gestion du greffe, des parloirs. Passée une grille et une zone "neutre" à l’intérieur, détenus et soignants sont en «territoire hospitalier». Où l’architecture et les couleurs rappellent assez les dernières prisons livrées à l’administration pénitentiaire. Simplement, les cellules s’appellent chambres, et le plateau de soin est assez complet. Les couloirs, en revanche, sont contrôlés par des caméras de surveillance, et les portes s’ouvrent à distance, depuis le poste de contrôle centralisé.
Certains médecins s’inquiètent de la «qualité de la relation» entre malades et soignants dans cet univers. Parmi eux, quelques-uns dénoncent le retour des«gardiens de fous». Un «contresens romantique», estime Pierre Lamothe, qui pense que «la réalité de l’UHSA pèsera sur les soignants» mais constituera «une bouffée d’oxygène pour les malades». Emmanuel Venet, psychiatre du Vinatier, est plutôt d’accord. Il ajoute que jusqu’à présent, lorsque les détenus étaient hospitalisés d’office, il y avait une levée d’écrou. Le compteur de leur peine s’arrêtait. A l’UHSA, ils restent placés sous écrou.
À l’intérieur, qui fait quoi ?
Officiellement, les surveillants ne s’occupent que du transport et de la garde de l’enceinte. Ses agents ne peuvent intervenir à l’intérieur qu’à la demande du personnel médical, en cas de danger. Mais un décret signé la semaine dernière ajoute qu’ils peuvent fouiller les chambres des malades, les lieux de soin. «Les deux professions n’ont pas la même culture, pas le même statut, pas les mêmes objectifs, pointe Philippe, infirmier psychiatrique au Vinatier. Elles subiront des injonctions paradoxales qui se traduiront par une confusion entre celui qui soigne et celui qui garde.»
Gilbert Rémont, éducateur et membre du conseil de surveillance du Vinatier, redoute que cela crée «des failles dans lesquelles pourront s’engouffrer les personnes psychotiques». Mais le psychiatre Emmanuel Venet relativise : «Ce sont des logiques professionnelles difficiles à faire converger, mais cela reste possible», dit-il. Il déplore plutôt que l’on «s’acclimate à l’idée de travailler en psychiatrie dans une structure où il y a des hommes en arme», et regrette le choix d’installer l’établissement au sein du Vinatier : «Cela renforce l’image d’une psychiatrie à qui l’on confie de plus en plus un rôle sécuritaire, un contrôle social, une contention de la violence.»
De l'hôpital à la prison, et retour
L’ouverture de l’UHSA pourrait se traduire par une nouvelle répartition des ressources, une érosion progressive des moyens à destination des autres services du complexe hospitalier. Cela accentuerait une tendance lourde : sur les 2 000 lits que comptait le Vinatier en 1970, il en reste 600. L’attente s’allonge pour une première consultation, ou pour la première visite après une hospitalisation. Le phénomène est national. Le nombre de lits a été divisé par cinq en psychiatrie depuis 1966. Or, «on n’a sans doute pas guéri pendant ce temps le 4/5e de nos malades», grince Pierre Lamothe. «Comme on ne soigne plus nos fous, prolonge Gilbert Rémont, membre du conseil de surveillance du Vinatier, une partie d’entre eux se retrouve en comparution immédiate, puis en prison, qui devient le plus grand asile de France.» D’une source à l’autre le nombre de détenus souffrant de troubles psychiatriques oscille entre 20 et 30%. Dans ce contexte, l’UHSA devient un progrès. «Un outil adapté à la réalité,soupire un psychologue. Mais la réalité est devenue désastreuse.»
Olivier BERTRAND
(1) Téléchargement Lettre à Madame Veil
Une structure pour qui ?
Construite dans le parc du Vinatier, vaste et passionnant hôpital psychiatrique lyonnais, l’UHSA accueillera des détenus, prévenus ou condamnés. Les indications restent assez ouvertes, mais le public devrait être essentiellement constitué de psychotiques, de détenus en état de dépression majeure ou souffrant de graves troubles de la personnalité. Les responsables n’excluent pas d’accueillir aussi, le temps d’un diagnostic, des détenus concernés par la rétention de sûreté, prévue pour les personnes lourdement condamnée (quinze ans de détention ou plus) et qui présentent, en fin de peine, de sérieux risques de récidive.
A l’UHSA, certains malades seront soignés avec leur consentement, d’autres hospitalisés d’office. Jusqu’à présent, note Pierre Lamothe, psychiatre et responsable du pôle «santé mentale des détenus et psychiatrie légale» dont dépend l’UHSA, «seuls les détenus dangereux pouvaient être hospitalisés, en raison du risque qu’ils représentaient». Les autres se contentaient de soins ambulatoires en détention, ou bien étaient placés - sur décision du directeur de la prison - dans l’un des 26 services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) français, pour des soins de jour seulement. Désormais, les médecins pourront prescrire l’hospitalisation à l’UHSA lorsqu’un détenu «est en souffrance, même s’il ne constitue pas un danger en détention».
Avec quels moyens ?
Le coût annuel de l’UHSA serait de 7 millions d’euros pour la seule partie santé. En terme de coûts journaliers, on s’approche du prix quotidien d'un lit de réanimation. «Mais le coût de l’abandon de gens inanimés socialement et psychiquement est beaucoup plus élevé», évacue Pierre Lamothe. Son UHSA comptera trois unités de 20 lits. Seule la première, prévue pour les patients en décompensation aiguë, a ouvert mardi, avec deux psychiatres et une vingtaine d’infirmiers, aides-soignants et agents de service hospitalier. L’idée est d’avoir toujours trois personnes présentes au moment d’ouvrir une porte, en raison de la difficulté à maîtriser certains malades. A terme, l’UHSA comptera environ une centaine de soignants, dont 5 psychiatres. Une prime de 234 euros brut avait été promise à l’embauche, puis ramenée à 117 euros. Une partie du personnel est donc en grève depuis mardi et des réquisitions ont été prononcées pour faire tourner l’UHSA.
Hôpital ou prison ?
Officiellement, il s’agit d’une «structure médicale avec une sécurité périphérique». Mais lorsqu’on s’en approche, au fond du parc du Vinatier, cela ressemble furieusement à une prison. Des murs de six mètres de haut renforcés de barbelés, de douves. Un poste de garde aux vitres blindées. A l’intérieur de l'UHSA, une cinquantaine de surveillants de l’administration pénitentiaire assurent la sécurité, la gestion du greffe, des parloirs. Passée une grille et une zone "neutre" à l’intérieur, détenus et soignants sont en «territoire hospitalier». Où l’architecture et les couleurs rappellent assez les dernières prisons livrées à l’administration pénitentiaire. Simplement, les cellules s’appellent chambres, et le plateau de soin est assez complet. Les couloirs, en revanche, sont contrôlés par des caméras de surveillance, et les portes s’ouvrent à distance, depuis le poste de contrôle centralisé.
Certains médecins s’inquiètent de la «qualité de la relation» entre malades et soignants dans cet univers. Parmi eux, quelques-uns dénoncent le retour des«gardiens de fous». Un «contresens romantique», estime Pierre Lamothe, qui pense que «la réalité de l’UHSA pèsera sur les soignants» mais constituera «une bouffée d’oxygène pour les malades». Emmanuel Venet, psychiatre du Vinatier, est plutôt d’accord. Il ajoute que jusqu’à présent, lorsque les détenus étaient hospitalisés d’office, il y avait une levée d’écrou. Le compteur de leur peine s’arrêtait. A l’UHSA, ils restent placés sous écrou.
À l’intérieur, qui fait quoi ?
Officiellement, les surveillants ne s’occupent que du transport et de la garde de l’enceinte. Ses agents ne peuvent intervenir à l’intérieur qu’à la demande du personnel médical, en cas de danger. Mais un décret signé la semaine dernière ajoute qu’ils peuvent fouiller les chambres des malades, les lieux de soin. «Les deux professions n’ont pas la même culture, pas le même statut, pas les mêmes objectifs, pointe Philippe, infirmier psychiatrique au Vinatier. Elles subiront des injonctions paradoxales qui se traduiront par une confusion entre celui qui soigne et celui qui garde.»
Gilbert Rémont, éducateur et membre du conseil de surveillance du Vinatier, redoute que cela crée «des failles dans lesquelles pourront s’engouffrer les personnes psychotiques». Mais le psychiatre Emmanuel Venet relativise : «Ce sont des logiques professionnelles difficiles à faire converger, mais cela reste possible», dit-il. Il déplore plutôt que l’on «s’acclimate à l’idée de travailler en psychiatrie dans une structure où il y a des hommes en arme», et regrette le choix d’installer l’établissement au sein du Vinatier : «Cela renforce l’image d’une psychiatrie à qui l’on confie de plus en plus un rôle sécuritaire, un contrôle social, une contention de la violence.»
De l'hôpital à la prison, et retour
L’ouverture de l’UHSA pourrait se traduire par une nouvelle répartition des ressources, une érosion progressive des moyens à destination des autres services du complexe hospitalier. Cela accentuerait une tendance lourde : sur les 2 000 lits que comptait le Vinatier en 1970, il en reste 600. L’attente s’allonge pour une première consultation, ou pour la première visite après une hospitalisation. Le phénomène est national. Le nombre de lits a été divisé par cinq en psychiatrie depuis 1966. Or, «on n’a sans doute pas guéri pendant ce temps le 4/5e de nos malades», grince Pierre Lamothe. «Comme on ne soigne plus nos fous, prolonge Gilbert Rémont, membre du conseil de surveillance du Vinatier, une partie d’entre eux se retrouve en comparution immédiate, puis en prison, qui devient le plus grand asile de France.» D’une source à l’autre le nombre de détenus souffrant de troubles psychiatriques oscille entre 20 et 30%. Dans ce contexte, l’UHSA devient un progrès. «Un outil adapté à la réalité,soupire un psychologue. Mais la réalité est devenue désastreuse.»
Olivier BERTRAND
(1) Téléchargement Lettre à Madame Veil
Un hôpital pour détenus, ça ressemble à quoi au juste?
le 21.05.10
SANTE - La première Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de France axe ses soins autour du bien-être du détenu. Avec balnéothérapie médicalisée et ateliers de cuisine...
De l’extérieur, l’imposant bâtiment de béton a tout d’une prison. Seul l’inox poli installé au dessus de l’entrée, égaye un peu les murs. Derrière les vitres sont postés des agents de l’administration pénitentiaire.
La première Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) destinée à accueillir les détenus ayant d’importants troubles psychiatriques a été inaugurée ce vendredi après-midi à Bron, sur le site de l’hôpital psychiatrique du Vinatier. L’occasion pour 20minutes.fr de visiter les lieux, construits un peu à l’écart du reste.
>> A lire, les détails de l'inauguration par ici.
A l’extérieur les matons, à l’intérieur les médecins
Une fois les parloirs dépassés et quelques portes ultrasécurisées franchies, le lieu ressemble davantage à un hôpital avec ses couloirs couleur beige et son «plateau de soins». Les chambres sont sobres, équipées d’une télévision placée en hauteur derrière une vitre, d’un petit bureau et d’un coin salle de bains entièrement carrelé. Certaines chambres ont vu sur une cour intérieure où ont été installés une table de ping-pong, un terrain synthétique, un panier de basket et quelques fleurs.
C’est le concept de l’UHSA. Les détenus sont pris en charge à leur arrivée et sortie par des agents de l’administration pénitentiaire. Mais une fois à l’intérieur, ils sont entièrement encadrés par des médecins, infirmiers et aides-soignants. Les surveillants sont à leur disposition si besoin.
Huit détenus déjà hospitalisés
Depuis la mise en service de cet hôpital-prison mardi, huit détenus de la maison d’arrêt de Corbas sont arrivés. «Tout s’est bien passé», relate le personnel. A terme, soixante personnes qui présente des pathologies de dépression à tendance suicidaire ou des troubles psychiatriques pourront être soignées dans cet établissement.
«Auparavant, seuls les détenus dangereux pouvaient être pris en charge, explique Pierre Lamothe, psychiatre et responsable du pôle «santé mentale des détenus et psychiatrie légale». Avec l’UHSA, nous accueillons ceux qui sont aussi en grande souffrance et ceux qui demandent à être soignés. C’est une grande avancée.»
Le personnel en grève mais présent quand même
Pour soigner les patients, l’UHSA propose de nombreuses activités 24h/24 centrées autour du corps, comme la balnéothérapie, des ateliers de cuisine et du sport. «Les détenus malades parlent difficilement. Il faut donc que la personne prenne soin d’elle et retrouve confiance en elle», souligne Eve Becache, médecin psychiatre.
Le personnel soignant, qui mène un mouvement de grève pour ne pas avoir à effectuer des taches sécuritaires comme les fouilles, avait été réquisitionné. Tous avaient donc un discours très formaté. « Nous prenons nos marques, confiait Abdel, infirmier. Nous sommes à l’écoute des patients.»
Pierre Lamothe assure que la contestation s’éteindra «d’elle-même». Et il balaye les arguments des grévistes qui pointent du doigt la confusion entre les soins et la sécurité. «Le risque est beaucoup plus grand dehors quand une infirmière est seule face à un patient dangereux. A l’UHSA, le personnel travaille en équipe.»
A Lyon, C.B.