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mercredi 19 mai 2010

le JDD
http://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Actualite/Avec-des-psys-en-banlieue-193568/


Santé
16 Mai 2010 
Avec des psys en banlieue

Un mois après la sortie du livre réquisitoire du philosophe contre Freud, voyage auprès de psychanalystes en banlieue. "Michel Onfray, nous on s’en fout..." disent-elles en souriant.


"Ces attaques ne me touchent pas." "On a trop de travail pour prêter l’oreille à la calomnie." "Freud n’était pas un saint? Et alors? On le savait déjà." Vendredi matin, à l’hôpital de Saint-Denis, en proche banlieue parisienne. Autour d’un café, les psychanalystes rattachées à la maternité évoquent la semaine écoulée, les difficultés de femmes qui débutent une grossesse ou viennent d’accoucher, les inquiétudes rencontrées par leurs collègues gynécologues et puéricultrices. La charge lancée par Michel Onfray(*) contre "l’idole" Freud les laisse indifférentes. Seule compte leur propre pratique, ancrée dans le quotidien de mères issues de milieux modestes.

Pour le philosophe, la psychanalyse n’aurait eu qu’un effet: soigner son propre inventeur. Comme de nombreux psys de terrain, salariés des hôpitaux psychiatriques, des centres médicopsychologiques ou d’associations, ces professionnelles exerçant en Seine-Saint-Denis boudent, en conscience, la controverse. Elles préfèrent relater des trajectoires singulières éclairées par la parole, des vies dont le cours change parfois après la rencontre avec un analyste. La preuve par l’exemple, en somme. "Notre travail consiste à faire en sorte que les choses ne se reproduisent pas à l’identique, que le déterminisme ne soit pas le plus fort", résume Sarah Stern. La pédopsychiatre a monté en 2005 une équipe de psychopathologie périnatale au sein de la maternité de Saint-Denis.

"Une écoute neutre, sans jugement"

Peu à peu, ces femmes psychiatres et psychologues formées à la psychanalyse et chargées de la prévention précoce des troubles mère-enfant, ont trouvé une place dans tous les recoins de la grande usine à bébés (3.000 naissances par an): dans les consultations prénatales, auprès du lit des jeunes mères, dans la salle de travail, à la nursery. "Nous pratiquons une écoute neutre, sans jugement et seulement si les patientes le souhaitent. Quand un psy entend leurs fantômes, ils pèsent moins lourds", poursuit Sarah Stern. Le spectre peut se cacher dans le ventre d’une femme ou dans son passé.

La psychiatre se souvient d’une mère "terrifiée" qui ne parvenait pas à toucher son nouveau-né, un grand prématuré: "Pour elle, il n’avait pas le statut d’un enfant. Elle pensait qu’il allait mourir et, en même temps, elle disait le sentir encore dans son ventre. Le fait de n’avoir pas pu porter le bébé à terme avait entravé la rencontre." Une autre patiente a fini par prendre conscience que son frère était handicapé et qu’elle avait peur que son fils, un autre grand prématuré, le devienne à son tour. "En parlant de son frère, la collusion entre le traumatisme du passé et la naissance de son enfant est apparue clairement", note Sarah Stern. Ou comment fermer la porte au fantôme d’un frère pour mieux accueillir un fils…

A la maternité, il n’y a ni divan, ni protocole rigide, ni silence pensant. "On s’adapte à chaque cas, on invente", sourit Marcela Palacios. Généralement, cette psychologue-psychanalyste refuse de revoir en urgence une mère dont le nourrisson vient de mourir. Mieux vaut laisser passer quelques jours avant de proposer un rendez-vous. "Récemment, j’ai néanmoins foncé en salle d’accouchement car l’équipe médicale était très angoissée. Dans ce cas, les soignants ont tendance à automatiser leurs pratiques sans tenir compte de la patiente. Fallait-il montrer le bébé mort à sa mère, comme mes collègues voulaient le faire? Moi je ne savais pas, c’était à la mère de décider."

Grâce à la parole, on peut éviter certains passages à l’acte

"On n’apporte pas de réponse universelle. Chaque patient doit trouver la sienne." Psychanalyste à Paris, Dominique Miller participe depuis quelques années à une autre aventure originale nourrie par la psychanalyse. Avec d’autres lacaniens, elle a fondé des centres psychanalytiques de consultation et traitement (CPCT) qui proposent, durant quelques mois, des rendez-vous réguliers à des adolescents révoltés, des adultes en rupture amoureuse ou atteints de cancer, des chômeurs en fin de droits, des SDF… Au total, à Paris, à Bordeaux et dans d’autres grandes villes, ces lieux accueillent quelque 200 personnes chaque année. "Ce n’est pas une véritable analyse, qui suppose un déchiffrage de l’inconscient, mais un travail qui peut permettre à la personnede dire quelque chose qu’elle n’a jamais dit ", souligne Philippe La Sagna, psychiatre-psychanalyste.

Sa consœur Dominique Miller précise: "En psychanalyse, on a le devoir de ne pas répondre comme les autres, de se détacher du conformisme social, de réaliser un réveil." Derrière l’alcoolique qui pousse la porte du centre, elle voit d’abord une personne et pas "une étiquette". "On essaie de comprendre avec le patient à quoi sert son alcoolisme, quelle tristesse, quel traumatisme la boisson permet de supporter. En une vingtaine de séances, une personne peut envisager une partie de ses difficultés autrement."

La psychanalyse guérit-elle? Les psychanalystes ont l’habitude de répondre, en citant Freud, qu’elle permet de passer "du malheur névrotique au malheur ordinaire". Plus libres, les patients ne seraient pas forcément plus heureux car la réalité n’est pas toujours rose… Si leur discours est empreint de modestie, les psys livrent des exemples de vies bouleversées par le tête-à-tête avec le psy. "Chez les ados, c’est souvent spectaculaire. Le fait de leur montrer que ce qu’ils disent a de la valeur suffit à arranger pas mal de choses. Grâce à la parole, on peut éviter certains passages à l’acte: fugues, accidents ou même tentatives de suicide", observe Philippe La Sagna. Sarah Stern, la psychiatre de la maternité de Saint-Denis, a, elle, vu certaines jeunes mères dépressives changer de vie à l’issue de quelques mois d’entretiens. Certaines femmes modestes ou d’origine étrangère décident de poursuivre leur analyse à la sortie de l’hôpital. Dans la foulée, il n’est pas rare qu’elles parviennent à changer de travail, à entamer une formation ou des études. Preuve pour les analystes que la vie, si on lui en laisse le chemin, est capable de se montrer très inventive.

(*) Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Grasset.


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