Le fichage en psychiatrie – Lyon 29 mai 2010
Les fichiers prolifèrent et leurs « croisements » se multiplient, sous prétexte de « sécurité » individuelle ou collective, mais souvent au mépris du respect des libertés individuelles et du droit à la vie privée. La collecte des données de santé et leurs traitements ne peuvent plus être considérées sur leurs aspects uniquement techniques, et la psychiatrie n’échappe pas à la règle.
Face à une situation qui ne fait que s’aggraver, l’association DELIS Santé Mentale Rhône-Alpes a décidé de consacrer une journée de réflexion au fichage en psychiatrie.
A la suite d’une présentation sommaire de cette rencontre, nous reprenons un article d’Odile Morvan, « L’informatisation en psychiatrie », publié en juillet 2004, dans Hommes & Libertés, revue de la Ligue des droits de l’Homme. Les mêmes problèmes continuent à se poser... mais avec une acuité croissante.
Voir en ligne : le RIM-Psy – Recueil d’Information Médicalisée en Psychiatrie
DELIS
DROITS ET LIBERTÉS FACE A L’INFORMATISATION DE LA SOCIÉTÉ
Santé Mentale Rhône-Alpes
FICHAGE EN PSYCHIATRIE
LYON LE 29 MAI 2010
Dans notre société les fichiers et leurs « croisements » ne cessent de proliférer, sous prétexte de « sécurité » individuelle et collective, au mépris du respect des libertés individuelles et du droit à la vie privée.
Dans ce contexte, le recueil des données de santé (recueil de l’information médicale, dossiers médicaux et futur DMP – dossier médical personnel –, « identito-vigilance ») ne peut plus être considéré comme une pratique purement technique et neutre, au bénéfice du suivi des patients et du calcul des tarifications des prestations de soins.
En psychiatrie tout particulièrement, ce recueil nominatif concerne des données sensibles (diagnostics, modalités d’hospitalisation…), qui s’accumulent dans les établissements de santé et les départements d’information médicale.
Beaucoup de soignants s’inquiètent de ce recueil obligatoire qu’ils doivent effectuer maintenant depuis 2007 sur tout le territoire pour chaque personne, enfant ou adulte, consultant en psychiatrie : pourquoi comme citoyen, participer à cette vaste entreprise de fichage, qui de plus altère et attaque notre travail relationnel (l’autre devient objet à identifier et étiqueter d’emblée dans un modèle réducteur, qui ne tient aucun compte de l’intersubjectivité) ?
Les autorités refusent jusqu’à présent de considérer cela comme un problème, malgré les positions du CCNE, les déboires du DMP, les alertes de la Cour des comptes sur le système d’information hospitalier… et toute la mobilisation contre les fichiers, Base-élève et Edvige en tête.
Que pouvons-nous faire ? Quels moyens d’action sont possibles et quelles sont leurs conséquences (refuser de « coder » par exemple) ? Pouvons-nous mobiliser les professionnels, les usagers et leurs associations ?
Discutons-en ensemble, samedi 29 mai 2010, à Lyon
Notre association propose une journée d’information et de réflexion, pour réunir tous les groupes, personnes, associations, syndicats… sensibilisés à ces questions.
Lieu : 147 avenue Général Frère, Lyon 8 ème
Repas : pouvant être pris sur place pour la somme de 10 euros.
Coût : Participation aux frais libre.
Programme :
8 h 30 : Accueil
9 h : Intervention Claire Gekiere et Olivier Labouret : État des lieux du fichage en psychiatrie (concret).
9 h 45 : 3 expériences d’équipes en face des dossiers à remplir et des diagnostics. (Collectif 13 et Dole sollicités).
11 h : Discussion avec la salle
11 h 45 : Intervention de Mireille Charpy, membre du « Collectif National de Résistance à Base- Elève ».
12 h 30 : Repas
14 h 30 : Evelyne Sire-Marin (Magistrate, fondation Copernic) : les fichiers, la justice et la psychiatrie.
15 h 30 : Jean-Claude Vitran (Ligue des Droits de l’Homme, responsable du groupe de travail "Libertés et technologies de l’information et de la communication") : l’enjeu des fichiers dans notre société.
16 h 30 : Quelles actions mener ?
17 h 30 : Synthèse de la journée
Discutant : Dr Bernard ODIER, psychiatre, Attaché de recherche au DIM, ASM 13, Paris
Modérateur : Pierre DAMESIN, psychologue, Chambéry (73).
Sites internet :
* DELIS : http://www.delis.sgdg.orghttp://www.delis.sgdg.org/
*Santé Mentale Rhône-Alpes : http://delis.smra.free.frhttp://delis.smra.free.fr/
L’informatisation en psychiatrie
Enflure et démesure
Quels enjeux et pour qui ?
Il est urgent de s’interroger sur les changements radicaux en psychiatrie, au regard de l’utilisation envahissante de l’informatique.
Qui sait ce que sont le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information), la centralisation du dossier patient, les projets Fieschi, Babusiaux etc. ? Toutes modifications d’importance dans l’éthique du soin et sa qualité, l’évolution de la conception du soin. Aucune étude sérieuse n’a été menée par les gestionnaires pour en envisager les retombées, considérées a priori comme positives, et les négatives.
Quelles évolutions subit le secret médical du fait de l’utilisation extensive de l’informatique, du fait des multiples dérogations légales ?
Le secret médical et professionnel
Les conditions du secret sont-elles réunies, garanties par le code civil :" Chacun a droit au respect de sa vie privée", le code de déontologie médicale :" Le secret professionnel s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi" (souligné par nous), ou le serment médical : " admis (e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me sont confiés." ?
Pas sûr ! Il a bien fallu, que les personnels paramédicaux, sociaux aient accès à certains secrets : ce fût le secret médical partagé. Ceci a multiplié l’éparpillement des dits secrets. Tout est toujours et réellement pensé pour le soin optimum. On peut souhaiter qu’une vigilance toujours renouvelée permette de parer aux dérives inhérentes à tout système. Bien souvent un seul soignant ne peut suffire à soigner un patient, personne n’est tout puissant, si quelqu’un le croyait, il serait "fou" et dangereux pour lui-même et pour autrui.
Les secrétaires partagent le secret médical, pourtant ce ne sont pas des soignants, et désormais le personnel de maintenance et de conception informatique, en privé comme en public. Que dire des personnels des organismes d’assurance maladie qui voient défiler des feuilles de soin avec les diagnostics en cas d’arrêt de travail ! On a ainsi glissé du secret médical au secret partagé, aux dérogations légales au secret médical (les textes de Loi sont très précis à cet égard). Le nombre d’individus qui se trouvent de fait dans ce qui n’est plus une confidence d’un patient à un soignant prend des proportions considérables. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’individu, sur le soignant, sur le cadre de soin ?
La psychiatrie
Chacun peut être amené à rencontrer la psychiatrie en de multiples circonstances à tout âge de la vie. Il importe de ne jamais perdre de vue la spécificité du soin en psychiatrie qui s’appuie sur le respect de la personne dans ce qu’elle a de plus intime : ses pensées, désirs, souffrances, angoisses, questionnements par rapport à sa vie actuelle, passée, à venir, tout ce qui n’est pas objectivable (à la différence de ce qu’il peut en être en MCO-médecine, chirurgie, obstétrique). L’intimité de la personne, si elle concerne certes le corps, est encore plus sensible pour la pensée. Pourquoi s’inquiéter du devenir du secret médical qui est bien la pierre angulaire du soin en psychiatrie puisque il est tout à fait impossible de rencontrer un patient dans ce qu’il a de plus intime si les conditions de cette rencontre : confiance, confidentialité, ne sont pas assurées ?
En souffrance psychique, nos limites sont mises à mal, à divers niveaux. Les limites, c’est ce qui fait que nous sommes des sujets différents les uns des autres, différents des objets et du monde extérieur, non engloutis ou menacés perpétuellement de l’être. La souffrance psychique, qu’elle vienne de l’extérieur, de l’intérieur, plus précisément de l’interaction extérieur intérieur, fait effraction dans nos limites, entame nos capacités à distinguer fantasmes et réalité nous fragilise. C’est donc très essentiellement à la consolidation, à la reconstruction ou à la construction de ces limites que le soignant en psychiatrie s’efforce d’aider le patient.
Le cadre de soin doit être protecteur, ne pas faire effraction dans l’espace psychique du sujet. Ce cadre est dépendant de lois qui régissent l’exercice et les conditions du soin, de la capacité du soignant à être le garant des limites. Avoir des limites c’est pouvoir avoir une identité, un nom, des secrets, une filiation, des origines, une histoire. Avoir des limites c’est aussi décider à qui l’on fera partager ces différents aspects de soi-même.
Le PMSI Psy
Le 27 juillet 1994 paraissait un décret relatif aux systèmes d’informations médicales et à l’analyse de l’activité des établissements publics et privés et modifiant le code de la santé publique. C’était la naissance du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). Il est actuellement en expérimentation pour la psychiatrie, et déjà actif en MCO par exemple. Obligation est faite aux soignants de recueillir et colliger l’identité, le diagnostic, diverses données sensibles dont environnementales etc. pour chaque patient. Le temps passé à remplir des grilles PMSI est considérable et grève d’autant le temps clinique si précieux. Ces données sont transmises au DIM (Département d’Information Médicale) de chaque établissement ou structure, pour l’intra comme pour l’extra hospitalier. Elles sont ensuite anonymisées et transmises aux autorités de tutelle à des fins gestionnaires. Ainsi :
* tout le personnel de chaque hôpital qui doit rentrer les données concernant le patient a accès au nom de tous les patients pris en charge par l’institution, à quelque registre que ce soit !
* tout le personnel de chaque service a accès à l’intégralité des données enregistrées pour le PMSI, ce qui constitue un nombre non négligeable de personnes selon les lieux de travail.
* des données indirectement nominatives sortent de l’hôpital. Ne nous arrêtons pas sur les risques de piratages, les utilisations et pressions abusives de la part d’assurances, employeurs... sur les patients pour avoir accès aux données qui leur seraient communiquées (droit d’accès du patient), mais quand même !
Ces données sont accessibles à des personnes qui ne sont pas des soignants du patient, voire pas du tout des soignants. Si le patient en est informé, il est de fait dépossédé de données biographiques, qui lui sont propres, à des fins gestionnaires.
Bien sûr, le travail des gestionnaires est de tout faire pour que les préoccupations de financement, le souci de la collectivité ait des retombées sur l’individu, et même si parfois la réalité nous incite à une grande prudence, pour le moins ne pouvons-nous pas blâmer a priori de louables intentions.
MAIS ce travail ne saurait se faire à n’importe quel prix, n’importe comment, et sans en mesurer les conséquences sur le patient et la qualité, les conditions du soin.
Avec le PMSI, il y a illusion d’une "vision patient", de la possibilité de suivi de la « trajectoire » patient. Des "morceaux", des "bribes" du patient viennent ainsi fabriquer une espèce de néo-identité à des individus bien souvent en quête, en mal d’identité. Une pseudo- biographie vient se substituer à une histoire à construire, reconstruire. Le nom, l’identité, accolé au diagnostic, constituent une effraction intolérable pour le patient. Nous connaissons les limites et la subjectivité très forte des diagnostics en psychiatrie, ils ne sont souvent que le reflet d’un instant T mais dans les faits se trouvent parfois réifiés.
Le nom c’est la filiation : je suis fils, fille de.., parent de... Quelqu’un aurait-il l’outrecuidance d’affirmer que le regard porté sur la maladie mentale s’est apaisé, atténué ? Affirmer que le malade mental est un malade comme les autres ne revient pas à changer la réalité de la différence et celle du regard d’autrui sur la souffrance psychique et ses conséquences. Reconnaître la spécificité de la psychiatrie c’est avoir pour chaque individu le respect qui lui est dû. La dignité humaine passe par le respect. Le respect de l’identité et de la pensée doivent être au cœur de la psychiatrie. Il ne faut pas les enfermer stigmatiser les patients dans les ghettos des fichiers.
Il y a une hypocrisie dans la Loi qui doit être encadrante et devient en réalité liberticide : le patient est informé que des données sont recueillies, centralisées au sein de chaque établissement, avec toutes les garanties de confidentialité et ne sortiront qu’anonymisées de l’hôpital. Point n’est question des données indirectement nominatives, nde la qualité et du nombre de personnes qui auront accès à leur identité, aux données recueilles dans le cadre du PMSI.
Aucune possibilité n’est laissée au patient de refuser ce recueil des données. La loi prévoit que les personnes "ont le droit de s’opposer pour des raisons légitimes (souligné par nous) au recueil et au traitement des données nominatives les concernant", sans définition des raisons légitimes. Peut-être cela renvoie t-il aux cas où l’anonymat est garanti (déclaration de séropositivité, accouchement sous x, cas de la toxicomanie). Cliquez sur la rubrique droit d’opposition du site de la CNIL, vous y trouverez : "il n’existe pas pour de nombreux traitements du secteur public." ! On imaginera aisément l’énergie qu’il faudrait pour s’opposer au recueil des données nominatives, et ce d’autant plus si l’on enfermé dans sa souffrance, ayant besoin de toute son énergie pour vivre si ce n’est survivre (même en MCO cela est vrai). Comment résister à cette force d’inquisition, particulièrement lorsque l’on demande de l’aide, A résister on se verrait potentiellement refuser l’accès aux soins dans le service public. On craindrait d’être encore plus traité de bizarre, soupçonneux, paranoïaque. Lorsque l’on souffre, l’autre est investi de pouvoirs, et en réalité en possède. La situation est très compliquée en psychiatrie. Si la loi sur les droits des malades est forte et importante, elle est par certains côtés hautement démagogique.
Divers arguments sont amenés par les tenants du PMSI
Premier argument : « après tout pourquoi pas ? » Cette remarque est redoutable ! Elle témoigne d’une méconnaissance profonde de l’enjeu du soin en psychiatrie. Un seul exemple : qui pourrait être serein face à cette question imaginée dans le regard des autres : il est malade mental, qu’ont donc fait ses parents, qu’a t-il fait, que va t’il transmettre à ses enfants, que pourrait-il me faire ? La honte n’est pas loin. Ne faisons pas les outragés, cela existe au tréfonds de chacun d’entre nous. La maladie mentale fait peur comme nous fait peur notre inconscient.
Second argument : « donner tous renseignements sur le patient serait le prix à payer par ce dernier pour être suivi "aux frais" de la collectivité. » C’est la médecine à deux vitesses. La préoccupation de la qualité du soin ne doit même pas se poser elle est donnée pour acquise.
Enfin : « cela n’empêche pas le patient de parler » ! Il est possible de penser qu’une effraction de l’intimité du patient n’est pas toxique et coûteuse pour son économie psychique interne : c’est opérer un véritable déni à la mesure du traumatisme subi (au sens du Petit Robert).
Une solution ?
Ceci est d’autant plus inquiétant et énigmatique qu’une solution technique simple existe, acceptée dan un premier temps par la Chef de mission du PMSI puis refusée par le Directeur de la Direction de l’Hospitalisation et des Soins se "repliant" derrière le Code de Santé Publique. C’est l’anonymisation à la source au sein de chaque unité fonctionnelle des données transmises au DIM qui limite considérablement le nombre de personnes concernées par la levée ou le « partage » de la confidentialité. Néanmoins il faut réexaminer de très près la question des données indirectement nominatives : l’anonymisation à la source ne règle pas tous les problèmes.
Le gestionnaire n’a nul besoin des noms, pourquoi les réclame-t-il ? L’argument de la recherche de doublons ne tient pas face à la technicité de l’anonymisation. Quid des doublons au niveau national ?
Toutes ces réflexions valent, de façon tout aussi aigüe et dramatique pour la centralisation et l’informatisation des dossiers patients, les contraintes et les retombées de la Loi Perben en psychiatrie, etc. Il est grand temps de nous réveiller, ce qui travaille en sourdine est ce qu’il y a de plus sournois et de plus dangereux lorsque des questions essentielles liées à la liberté de penser et de vivre sont concernées.
La centralisation du dossier patient
Notre grande opposition au PMSI, pour ce qui concerne la confidentialité, est tout aussi vive par rapport à la centralisation du dossier patient, mêmes remarques, mêmes propositions, les données recueillies sont bien plus nombreuses.
Idem pour les réseaux de soin. Dernièrement le rapport FIESCHI : « Les données du patient partagées : propositions pour l’expérimentation » - toujours sous couvert d’une meilleur e gestion, efficacité (soignante et du coût), affichant la maîtrise du patient sur ses données de santé- balise la piste pour la constitution d’une véritable cartographie du patient constituée à partir de tous les éléments recueillis par tous les professionnels de santé, accessibles à terme à toutes les professions exécutantes aux données de prescription, mélangeant allègrement les établissements hospitaliers, les professionnels hospitaliers et libéraux, les organismes d’assurance maladie et les régimes complémentaires. Ceci s’inscrit dans le même sens que la carte Vitale Sesam 2. Toutes les remarques supra sont valables au premier chef pour ce projet. Nous sommes au cœur de l’interconnexion des fichiers.
Ces problèmes concernent aujourd’hui 1 150 000 patients adultes et 432 317 enfants consultants ou hospitalisés (seulement pour les établissements publics en 2002, chiffres de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), soit environ 80% de l’ensemble de la population consultante dans les établissements psychiatriques.
Hannah Arendt avait décrit la banalité du mal. Dans l’Allemagne nazie, les fichiers ont été d’une terrifiante efficacité, l’informatique n’existait pas. On sait le sort réservé aux malades mentaux par les nazis. L’informatique en elle-même n’est évidemment pas nocive, son utilisation, du fait de la multiplication considérable des champs d’application l’est déjà trop souvent. Seules la réflexion et l’extrême prudence face aux nouvelles technologies et à la constitution de fichiers nominatifs peuvent nous garder toujours vigilants sans être obtus sans refuser tout progrès technique de façon bornée. Il faut poser des limites sans concession aucune.
Les choses allant très vite, c’est maintenant le dossier patient partagé (à vie, la trajectoire et la traçabilité des patients fascine les gestionnaires) qui est également à l’ordre du jour, et dans les textes préparatifs au projet de Loi sur la prévention de la délinquance (version 8), la perspective de constitution d’un fichier national des hospitalisations psychiatriques… Les patients n’ont aujourd’hui que le droit de consentir (et il est écrit « consentement libre et éclairé ! »), drôle de conception du partage, de la liberté. Nous n’avons qu’à bien nous tenir ou à porter le débat, et en premier lieu, l’information, avec tous ceux qui sont concernés. Il nous faudra en parler plus longuement.
Odile Morvan
Repas : pouvant être pris sur place pour la somme de 10 euros.
Coût : Participation aux frais libre.
Programme :
8 h 30 : Accueil
9 h : Intervention Claire Gekiere et Olivier Labouret : État des lieux du fichage en psychiatrie (concret).
9 h 45 : 3 expériences d’équipes en face des dossiers à remplir et des diagnostics. (Collectif 13 et Dole sollicités).
11 h : Discussion avec la salle
11 h 45 : Intervention de Mireille Charpy, membre du « Collectif National de Résistance à Base- Elève ».
12 h 30 : Repas
14 h 30 : Evelyne Sire-Marin (Magistrate, fondation Copernic) : les fichiers, la justice et la psychiatrie.
15 h 30 : Jean-Claude Vitran (Ligue des Droits de l’Homme, responsable du groupe de travail "Libertés et technologies de l’information et de la communication") : l’enjeu des fichiers dans notre société.
16 h 30 : Quelles actions mener ?
17 h 30 : Synthèse de la journée
Discutant : Dr Bernard ODIER, psychiatre, Attaché de recherche au DIM, ASM 13, Paris
Modérateur : Pierre DAMESIN, psychologue, Chambéry (73).
Sites internet :
* DELIS : http://www.delis.sgdg.orghttp://www.delis.sgdg.org/
*Santé Mentale Rhône-Alpes : http://delis.smra.free.frhttp://delis.smra.free.fr/
L’informatisation en psychiatrie
Enflure et démesure
Quels enjeux et pour qui ?
Il est urgent de s’interroger sur les changements radicaux en psychiatrie, au regard de l’utilisation envahissante de l’informatique.
Qui sait ce que sont le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information), la centralisation du dossier patient, les projets Fieschi, Babusiaux etc. ? Toutes modifications d’importance dans l’éthique du soin et sa qualité, l’évolution de la conception du soin. Aucune étude sérieuse n’a été menée par les gestionnaires pour en envisager les retombées, considérées a priori comme positives, et les négatives.
Quelles évolutions subit le secret médical du fait de l’utilisation extensive de l’informatique, du fait des multiples dérogations légales ?
Le secret médical et professionnel
Les conditions du secret sont-elles réunies, garanties par le code civil :" Chacun a droit au respect de sa vie privée", le code de déontologie médicale :" Le secret professionnel s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi" (souligné par nous), ou le serment médical : " admis (e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me sont confiés." ?
Pas sûr ! Il a bien fallu, que les personnels paramédicaux, sociaux aient accès à certains secrets : ce fût le secret médical partagé. Ceci a multiplié l’éparpillement des dits secrets. Tout est toujours et réellement pensé pour le soin optimum. On peut souhaiter qu’une vigilance toujours renouvelée permette de parer aux dérives inhérentes à tout système. Bien souvent un seul soignant ne peut suffire à soigner un patient, personne n’est tout puissant, si quelqu’un le croyait, il serait "fou" et dangereux pour lui-même et pour autrui.
Les secrétaires partagent le secret médical, pourtant ce ne sont pas des soignants, et désormais le personnel de maintenance et de conception informatique, en privé comme en public. Que dire des personnels des organismes d’assurance maladie qui voient défiler des feuilles de soin avec les diagnostics en cas d’arrêt de travail ! On a ainsi glissé du secret médical au secret partagé, aux dérogations légales au secret médical (les textes de Loi sont très précis à cet égard). Le nombre d’individus qui se trouvent de fait dans ce qui n’est plus une confidence d’un patient à un soignant prend des proportions considérables. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’individu, sur le soignant, sur le cadre de soin ?
La psychiatrie
Chacun peut être amené à rencontrer la psychiatrie en de multiples circonstances à tout âge de la vie. Il importe de ne jamais perdre de vue la spécificité du soin en psychiatrie qui s’appuie sur le respect de la personne dans ce qu’elle a de plus intime : ses pensées, désirs, souffrances, angoisses, questionnements par rapport à sa vie actuelle, passée, à venir, tout ce qui n’est pas objectivable (à la différence de ce qu’il peut en être en MCO-médecine, chirurgie, obstétrique). L’intimité de la personne, si elle concerne certes le corps, est encore plus sensible pour la pensée. Pourquoi s’inquiéter du devenir du secret médical qui est bien la pierre angulaire du soin en psychiatrie puisque il est tout à fait impossible de rencontrer un patient dans ce qu’il a de plus intime si les conditions de cette rencontre : confiance, confidentialité, ne sont pas assurées ?
En souffrance psychique, nos limites sont mises à mal, à divers niveaux. Les limites, c’est ce qui fait que nous sommes des sujets différents les uns des autres, différents des objets et du monde extérieur, non engloutis ou menacés perpétuellement de l’être. La souffrance psychique, qu’elle vienne de l’extérieur, de l’intérieur, plus précisément de l’interaction extérieur intérieur, fait effraction dans nos limites, entame nos capacités à distinguer fantasmes et réalité nous fragilise. C’est donc très essentiellement à la consolidation, à la reconstruction ou à la construction de ces limites que le soignant en psychiatrie s’efforce d’aider le patient.
Le cadre de soin doit être protecteur, ne pas faire effraction dans l’espace psychique du sujet. Ce cadre est dépendant de lois qui régissent l’exercice et les conditions du soin, de la capacité du soignant à être le garant des limites. Avoir des limites c’est pouvoir avoir une identité, un nom, des secrets, une filiation, des origines, une histoire. Avoir des limites c’est aussi décider à qui l’on fera partager ces différents aspects de soi-même.
Le PMSI Psy
Le 27 juillet 1994 paraissait un décret relatif aux systèmes d’informations médicales et à l’analyse de l’activité des établissements publics et privés et modifiant le code de la santé publique. C’était la naissance du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). Il est actuellement en expérimentation pour la psychiatrie, et déjà actif en MCO par exemple. Obligation est faite aux soignants de recueillir et colliger l’identité, le diagnostic, diverses données sensibles dont environnementales etc. pour chaque patient. Le temps passé à remplir des grilles PMSI est considérable et grève d’autant le temps clinique si précieux. Ces données sont transmises au DIM (Département d’Information Médicale) de chaque établissement ou structure, pour l’intra comme pour l’extra hospitalier. Elles sont ensuite anonymisées et transmises aux autorités de tutelle à des fins gestionnaires. Ainsi :
* tout le personnel de chaque hôpital qui doit rentrer les données concernant le patient a accès au nom de tous les patients pris en charge par l’institution, à quelque registre que ce soit !
* tout le personnel de chaque service a accès à l’intégralité des données enregistrées pour le PMSI, ce qui constitue un nombre non négligeable de personnes selon les lieux de travail.
* des données indirectement nominatives sortent de l’hôpital. Ne nous arrêtons pas sur les risques de piratages, les utilisations et pressions abusives de la part d’assurances, employeurs... sur les patients pour avoir accès aux données qui leur seraient communiquées (droit d’accès du patient), mais quand même !
Ces données sont accessibles à des personnes qui ne sont pas des soignants du patient, voire pas du tout des soignants. Si le patient en est informé, il est de fait dépossédé de données biographiques, qui lui sont propres, à des fins gestionnaires.
Bien sûr, le travail des gestionnaires est de tout faire pour que les préoccupations de financement, le souci de la collectivité ait des retombées sur l’individu, et même si parfois la réalité nous incite à une grande prudence, pour le moins ne pouvons-nous pas blâmer a priori de louables intentions.
MAIS ce travail ne saurait se faire à n’importe quel prix, n’importe comment, et sans en mesurer les conséquences sur le patient et la qualité, les conditions du soin.
Avec le PMSI, il y a illusion d’une "vision patient", de la possibilité de suivi de la « trajectoire » patient. Des "morceaux", des "bribes" du patient viennent ainsi fabriquer une espèce de néo-identité à des individus bien souvent en quête, en mal d’identité. Une pseudo- biographie vient se substituer à une histoire à construire, reconstruire. Le nom, l’identité, accolé au diagnostic, constituent une effraction intolérable pour le patient. Nous connaissons les limites et la subjectivité très forte des diagnostics en psychiatrie, ils ne sont souvent que le reflet d’un instant T mais dans les faits se trouvent parfois réifiés.
Le nom c’est la filiation : je suis fils, fille de.., parent de... Quelqu’un aurait-il l’outrecuidance d’affirmer que le regard porté sur la maladie mentale s’est apaisé, atténué ? Affirmer que le malade mental est un malade comme les autres ne revient pas à changer la réalité de la différence et celle du regard d’autrui sur la souffrance psychique et ses conséquences. Reconnaître la spécificité de la psychiatrie c’est avoir pour chaque individu le respect qui lui est dû. La dignité humaine passe par le respect. Le respect de l’identité et de la pensée doivent être au cœur de la psychiatrie. Il ne faut pas les enfermer stigmatiser les patients dans les ghettos des fichiers.
Il y a une hypocrisie dans la Loi qui doit être encadrante et devient en réalité liberticide : le patient est informé que des données sont recueillies, centralisées au sein de chaque établissement, avec toutes les garanties de confidentialité et ne sortiront qu’anonymisées de l’hôpital. Point n’est question des données indirectement nominatives, nde la qualité et du nombre de personnes qui auront accès à leur identité, aux données recueilles dans le cadre du PMSI.
Aucune possibilité n’est laissée au patient de refuser ce recueil des données. La loi prévoit que les personnes "ont le droit de s’opposer pour des raisons légitimes (souligné par nous) au recueil et au traitement des données nominatives les concernant", sans définition des raisons légitimes. Peut-être cela renvoie t-il aux cas où l’anonymat est garanti (déclaration de séropositivité, accouchement sous x, cas de la toxicomanie). Cliquez sur la rubrique droit d’opposition du site de la CNIL, vous y trouverez : "il n’existe pas pour de nombreux traitements du secteur public." ! On imaginera aisément l’énergie qu’il faudrait pour s’opposer au recueil des données nominatives, et ce d’autant plus si l’on enfermé dans sa souffrance, ayant besoin de toute son énergie pour vivre si ce n’est survivre (même en MCO cela est vrai). Comment résister à cette force d’inquisition, particulièrement lorsque l’on demande de l’aide, A résister on se verrait potentiellement refuser l’accès aux soins dans le service public. On craindrait d’être encore plus traité de bizarre, soupçonneux, paranoïaque. Lorsque l’on souffre, l’autre est investi de pouvoirs, et en réalité en possède. La situation est très compliquée en psychiatrie. Si la loi sur les droits des malades est forte et importante, elle est par certains côtés hautement démagogique.
Divers arguments sont amenés par les tenants du PMSI
Premier argument : « après tout pourquoi pas ? » Cette remarque est redoutable ! Elle témoigne d’une méconnaissance profonde de l’enjeu du soin en psychiatrie. Un seul exemple : qui pourrait être serein face à cette question imaginée dans le regard des autres : il est malade mental, qu’ont donc fait ses parents, qu’a t-il fait, que va t’il transmettre à ses enfants, que pourrait-il me faire ? La honte n’est pas loin. Ne faisons pas les outragés, cela existe au tréfonds de chacun d’entre nous. La maladie mentale fait peur comme nous fait peur notre inconscient.
Second argument : « donner tous renseignements sur le patient serait le prix à payer par ce dernier pour être suivi "aux frais" de la collectivité. » C’est la médecine à deux vitesses. La préoccupation de la qualité du soin ne doit même pas se poser elle est donnée pour acquise.
Enfin : « cela n’empêche pas le patient de parler » ! Il est possible de penser qu’une effraction de l’intimité du patient n’est pas toxique et coûteuse pour son économie psychique interne : c’est opérer un véritable déni à la mesure du traumatisme subi (au sens du Petit Robert).
Une solution ?
Ceci est d’autant plus inquiétant et énigmatique qu’une solution technique simple existe, acceptée dan un premier temps par la Chef de mission du PMSI puis refusée par le Directeur de la Direction de l’Hospitalisation et des Soins se "repliant" derrière le Code de Santé Publique. C’est l’anonymisation à la source au sein de chaque unité fonctionnelle des données transmises au DIM qui limite considérablement le nombre de personnes concernées par la levée ou le « partage » de la confidentialité. Néanmoins il faut réexaminer de très près la question des données indirectement nominatives : l’anonymisation à la source ne règle pas tous les problèmes.
Le gestionnaire n’a nul besoin des noms, pourquoi les réclame-t-il ? L’argument de la recherche de doublons ne tient pas face à la technicité de l’anonymisation. Quid des doublons au niveau national ?
Toutes ces réflexions valent, de façon tout aussi aigüe et dramatique pour la centralisation et l’informatisation des dossiers patients, les contraintes et les retombées de la Loi Perben en psychiatrie, etc. Il est grand temps de nous réveiller, ce qui travaille en sourdine est ce qu’il y a de plus sournois et de plus dangereux lorsque des questions essentielles liées à la liberté de penser et de vivre sont concernées.
La centralisation du dossier patient
Notre grande opposition au PMSI, pour ce qui concerne la confidentialité, est tout aussi vive par rapport à la centralisation du dossier patient, mêmes remarques, mêmes propositions, les données recueillies sont bien plus nombreuses.
Idem pour les réseaux de soin. Dernièrement le rapport FIESCHI : « Les données du patient partagées : propositions pour l’expérimentation » - toujours sous couvert d’une meilleur e gestion, efficacité (soignante et du coût), affichant la maîtrise du patient sur ses données de santé- balise la piste pour la constitution d’une véritable cartographie du patient constituée à partir de tous les éléments recueillis par tous les professionnels de santé, accessibles à terme à toutes les professions exécutantes aux données de prescription, mélangeant allègrement les établissements hospitaliers, les professionnels hospitaliers et libéraux, les organismes d’assurance maladie et les régimes complémentaires. Ceci s’inscrit dans le même sens que la carte Vitale Sesam 2. Toutes les remarques supra sont valables au premier chef pour ce projet. Nous sommes au cœur de l’interconnexion des fichiers.
Ces problèmes concernent aujourd’hui 1 150 000 patients adultes et 432 317 enfants consultants ou hospitalisés (seulement pour les établissements publics en 2002, chiffres de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), soit environ 80% de l’ensemble de la population consultante dans les établissements psychiatriques.
Hannah Arendt avait décrit la banalité du mal. Dans l’Allemagne nazie, les fichiers ont été d’une terrifiante efficacité, l’informatique n’existait pas. On sait le sort réservé aux malades mentaux par les nazis. L’informatique en elle-même n’est évidemment pas nocive, son utilisation, du fait de la multiplication considérable des champs d’application l’est déjà trop souvent. Seules la réflexion et l’extrême prudence face aux nouvelles technologies et à la constitution de fichiers nominatifs peuvent nous garder toujours vigilants sans être obtus sans refuser tout progrès technique de façon bornée. Il faut poser des limites sans concession aucune.
Les choses allant très vite, c’est maintenant le dossier patient partagé (à vie, la trajectoire et la traçabilité des patients fascine les gestionnaires) qui est également à l’ordre du jour, et dans les textes préparatifs au projet de Loi sur la prévention de la délinquance (version 8), la perspective de constitution d’un fichier national des hospitalisations psychiatriques… Les patients n’ont aujourd’hui que le droit de consentir (et il est écrit « consentement libre et éclairé ! »), drôle de conception du partage, de la liberté. Nous n’avons qu’à bien nous tenir ou à porter le débat, et en premier lieu, l’information, avec tous ceux qui sont concernés. Il nous faudra en parler plus longuement.
Odile Morvan