Les RTT, un dossier en souffrance pour les personnels des hôpitaux
LEMONDE.FR | 24.11.11
Six mois de RTT à poser en moins de six semaines. C'est à cette impossible équation qu'une réunion entre le ministre de la santé et les syndicats de médecins hospitaliers a tenté de répondre, mercredi 23 novembre. Au lendemain de cette troisième rencontre depuis la rentrée, le résultat est cinglant : le dossier est bloqué, selon les syndicats.
"CRISE DE CONFIANCE" ENTRE MINISTÈRE ET MÉDECINS
La réunion, pourtant, commençait sur un accord entre la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé et les syndicats : "pour la première fois, l'administration validait nos estimations alors que, jusqu'à présent, nous n'avions aucune base documentaire", explique au Monde.fr le Dr François Aubard, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Comme le plus important syndicat de praticiens, le ministère de la santé constatait les 2,1 millions de jours de RTT acumulés par les 41 000 médecins hospitaliers. Pour chaque médecin, c'est environ six mois de RTT qui ont été stockées sur des comptes épargne-temps (CET) et dont l'échéance arrive le 2 janvier 2012. Une date connue de tous : le dossier est vieux de dix ans, lorsque la loi sur les 35 heures est appliquée aux hôpitaux publics.
C'est dans ce contexte que le syndicat a proposé trois pistes mercredi : la"monétisation" ou le paiement d'une partie de ces journées ; l'utilisation de congés ; la transformation de ces CET en point-retraites. Joint par Le Monde.fr, le ministère de la santé affirme que toutes les pistes sont étudiées, avec une"solution mixte" possible, et un prolongement de la date butoir du 2 janvier 2012. Réaction du CMH : tous les médecins sont appelés à poser leurs congés dès janvier 2012. Une forme de menace devant la "crise de confiance" entre le ministère de la santé et les médecins, déplore le Dr François Aubard. Le médecin estime qu'avec un projet de décret incluant les trois solutions, le gouvernement n'agit pas et "repousse le problème". Devant la crainte de perdre ces heures, et afin de garantir leur paiement, le syndicat médecin a même demandé la"sanctuarisation" de ces CET par la Caisse des dépôts et consignations.
PAS DE PERSONNEL, PAS DE BUDGET
Si, depuis 2002, les journées de RTT s'accumulent, c'est pour deux raisons. D'abord parce que le personnel manque pour remplacer les médecins en congés. Ensuite parce que le budget fait défaut pour payer ces heures de repos qui ne peuvent pas être prises par les praticiens surchargés de travail. Une première fois, en 2008, un remboursement partiel de ces RTT est mis en place : 30 % des stocks sont rachetés. A l'époque, Hervé (son nom a été changé), chirurgien à Marseille, entre en litige avec son établissement. "Les 30 % m'ont été versés de façon parcellaire", commente le médecin "l'hôpital n'avait pas d'argent". Il décide de poursuivre son hôpital au tribunal administratif, pourrecevoir la totalité de la somme trois ans plus tard, au printemps 2011. Selon le Dr François Aubard, ce genre de litige est courant, "les engagements de 2008 [n'ayant] pas été tenus". Et trois ans plus tard, Hervé a encore environ 140 journées de récupérations à poser.
Au sein de l'hôpital, la situation des médecins est particulière : le rachat de leur CET est particulièrement cher, 300 euros bruts par journée. A elles seules, les RTT des 41 000 médecins représentent la moitié des heures accumulées par les 411 000 salariés des hôpitaux. Le coût pour l'Etat de cette monétisation s'élèverait ainsi à quelque 600 millions d'euros. Autre spécificité : le métier est caractérisé par une démographie déclinante. "Entre 2010 et 2018, 31 % des praticiens vont partir à la retraite", explique le président du syndicat. Une caractéristique qui rend la transformation des CET en point-retraites peu séduisante pour le gouvernement, et réduit les solutions envisageables.
TOUT L'HÔPITAL EN SURPLUS DE RTT
A l'hôpital, la question des RTT ne se limite pas aux médecins. Le coût de leurs journées est un peu moins élevé et leur situation se règle généralement chaque année, mais les autres catégories de salariés ont également accumulé un peu moins de deux millions de RTT. "On pensait que ces RTT soulageraient notre charge de travail. Etant donné que nous sommes toujours sur le qui-vive, cela fait du bien d'avoir des jours de repos en plus," commente un aide-soignant en psychiatrie sous réserve d'anonymat, de peur que "sa direction ne lui mette la pression".
Car dans les hôpitaux, l'ambiance est pénible, témoignent aide-soignants et infirmiers : les équipes fonctionnent "à flux tendus". L'organisation des plannings est source de tensions et de pressions. En huit mois de travail, cet aide-soignant d'un hôpital de l'ouest de la France a cumulé 90 heures de RTT, essentiellement pendant l'été lorsque le personnel prend ses congés. "J'aimerais qu'on m'en paye la moitié, mais ils ne le feront pas : le budget est trop serré. Nous sommes dans un cul-de sac, mais j'essaierai de me battre pour ne pas perdre ces heures"témoigne l'aide-soignant.
En filigrane, c'est donc le manque de moyens de l'hôpital qui se dessine derrière l'accumulation de RTT. "Les conditions de travail se dégradent, l'hôpital est plein, le personnel démotivé, épuisé", rapporte l'aide-soignant. Dans son service, pendant la période particulièrement tendue de l'été, une infirmière retraitée a été rappelée, avant de revenir pour un contrat de deux mois cet hiver. Un autre salarié a également effectué des remplacements, au pied levé, tandis que des infirmières d'autres services viennent aussi ponctuellement prêter main-forte. Un système qui impacte la qualité des soins : "c'est l'enfer", commente l'aide-soignant, "les remplaçants ne connaissent rien à la psychiatrie et le patients aussi ont peur".
"BIDOUILLAGE" GÉNÉRALISÉ
Les RTT sont alors prises dans le "bidouillage", hors des échéances et du cadre posés par la loi, explique une infirmière d'un hôpital du nord de la France sous couvert d'anonymat, avec une "négociation" permanente entre les cadres et le personnel. Dans son établissement, l'aide-soignant en psychiatrie évoque "des magouilles", tandis qu'Hervé, le chirurgien, compte cumuler suffisamment de jours de repos pour prendre une année sabbatique.
Alors qu'il est demandé aux directeurs d'hôpitaux de présenter un budget en équilibre en 2012, certains craignent que le coût de ces RTT plombe l'assurance maladie. "Les hôpitaux n'ont en provision que l'équivalent de 30 % de ces RTT selon les syndicats, 50 % selon le ministère", estime le Dr François Aubart. Certains hôpitaux sont "face à un vrai problème d'approvisionnement", admet le ministère de la santé. Au ministère, sans s'avancer sur des solutions privilégiées, on n'écarte pas que des fonds soient "débloqués" pour les établissements en difficulté. Pour désamorcer l'explosion des RTT, une quatrième réunion avec les syndicats est prévue avant la fin de l'année, le 5 décembre.
Flora GenouxPaiement des RTT des médecins hospitaliers : blocage entre gouvernement et syndicats
LEMONDE.FR avec AFP | 24.11.11
Les syndicats de médecins hospitaliers ont déploré, mercredi 23 novembre, que le ministère de la santé refuse de s'engager à leur payer, d'une manière ou d'une autre, avant la fin de l'année, les 2 millions de jours de RTT qui se sont accumulés sur leurs comptes épargne-temps (CET).
Résultat de l'application de la loi sur les 35 heures aux hôpitaux publics en 2002, plusieurs millions de journées de RTT n'ont pu être prises par les personnels, en raison de leur important temps de présence auprès des malades. A eux seuls, les 41 000 médecins représentent la moitié des RTT accumulés par les 411 000 salariés des 1 300 hôpitaux publics français. Chaque médecin a stocké en moyenne environ six mois de RTT. Le coût pour l'Etat d'un remboursement de ces journées s'élève à quelque 600 millions d'euros. Un peu moins de deux autres millions de RTT ont été accumulés par d'autres catégories de salariés des hôpitaux, notamment des directeurs et des cadres, mais le coût pour l'Etat est moins élevé.
Une troisième réunion de concertation depuis le mois de septembre entre les syndicats de médecins hospitaliers et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé n'a pas rassuré les praticiens, qui craignent devoir s'évaporer ces RTT difficiles à prendre.
PROBLÈME CONNU DEPUIS DES ANNÉES
"Nous sommes dans une situation de blocage", a déclaré le docteur François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), un des plus importants syndicats de praticiens hospitaliers, qui entend faire monter la pression. "Devant le risque de remise en cause de la notion même de CET, nous allons réunir nos instances jeudi et je vais proposer que nos membres déposent des demandes de congés dès janvier", a-t-il affirmé. Le président de la CMH a indiqué qu'il se pourrait que d'autres syndicats de praticiens fassent de même car"il y avait un constat partagé autour de la table" du côté des médecins de cette situation de blocage. Selon le Dr Aubart, le gouvernement a trop tardé pourrégler un dossier dont on connaît l'échéance depuis près de dix ans.
PLUSIEURS OPTIONS
L'une des solutions pour apurer ce stock de RTT est la "monétisation", c'est-à-dire le paiement aux médecins de tout ou partie de ces journées. Un remboursement partiel des RTT par le gouvernement a eu lieu en 2008, à hauteur de 168 millions, soit 30 % du stock de l'époque, selon le journal Le Parisien. Mais depuis, les CET des médecins se sont à nouveau remplis.
Un autre moyen de régler le problème est d'inciter les médecins à prendrerégulièrement leurs congés en les remplaçant. Mais cette solution est peu réaliste car les praticiens absents sont difficiles à remplacer, surtout dans les petits établissements. Il y a même, dans certains cas, des postes vacants non pourvus.
Dernière piste possible : transformer le CET en compte épargne-retraite permettant au médecin de partir avant 67 ans, l'âge de départ pour les praticiens depuis la réforme, ou encore de travailler à temps partiel les dernières années avant la cessation d'activité. Cette solution séduit nombre de médecins, mais beaucoup moins le gouvernement, étant donné que la moyenne d'âge des praticiens est déjà élevée (57-58 ans) et que les départs à la retraite vont s'accélérer dans les prochaines années.
Selon le Dr Aubart, la DGOS ne s'est avancée sur aucune des trois solutions possibles. "On nous a seulement proposé de publier un décret visant à autoriserles trois options", c'est-à-dire en remettant à plus tard le règlement de cette question.