L'affaire du Mediator marque-t-elle une rupture dans la politique de sécurité sanitaire française ?
On peut parler de tsunami. Cette affaire a modifié les rapports entre les usagers, le système de santé, les laboratoires et les médecins. Même s'il n'y a pas eu de réelle perte de confiance dans le corps médical, les Français sont devenus méfiants vis-à-vis du système. Il faut maintenant restaurer la confiance. C'est la mission de la nouvelle loi sur le médicament, centrée sur la sécurité des produits. Le texte apporte aussi des changements très importants en matière de conflits d'intérêts. La loi va loin en matière de déclaration de ces conflits, et surtout, elle prévoit que tout manquement sera puni. Mais n'oublions pas que ce traumatisme vient d'un dysfonctionnement majeur de la firme Servier, assorti du fait que les différentes barrières qui auraient dû être érigées ne l'ont pas été. Le système des prescriptions hors AMM [autorisation de mise sur le marché, NDLR] va être modifié dans l'intérêt du patient.
Est-il vraiment utile d'avoir trois intervenants dans la politique du médicament : Afssaps, HAS et CEPS ? Sans compter le ministère. Le scandale du Mediator a justement révélé une dilution des responsabilités...
Leurs missions sont très différentes. L'Afssaps est responsable de la sécurité sanitaire, alors que la HAS donne un avis sur l'intérêt du médicament dans une optique de remboursement et de prix. C'est le rôle de notre commission de la transparence, qui vient par exemple de réévaluer les médicaments contre la maladie d'Alzheimer. Quant au CEPS [Comité économique des produits de santé, NDLR], il fixe les prix mais ne joue aucun rôle en matière de sécurité.
Un rapport de la Cour des comptes sur la HAS critiquait récemment le fait que la HAS avait du mal à se démarquer de l'Afssaps. Pourquoi faire deux fois les mêmes études ?
Les données scientifiques sont les mêmes mais les évaluations sont différentes : l'Afssaps évalue les produits dans l'absolu, alors que la HAS tient compte de l'existant. Nous évaluons l'intérêt thérapeutique dans une stratégie globale, en analysant ce que les traitements apportent par rapport aux médicaments déjà sur le marché. Les procédures vont se sophistiquer, même pour l'obtention des AMM : le ministre de la Santé souhaite que les essais cliniques soient effectués à partir de comparaisons avec l'existant.
Vos avis évaluent le « service médical rendu » pour déterminer le taux de remboursement et l'« amélioration du service médical rendu » pour fixer le prix. Comment rendre cette classification plus lisible pour le public ?
Même les médecins ont du mal à s'y retrouver ! D'autant que le SMR comporte quatre gradations, qui vont d'« important à insuffisant », et l'ASMR cinq. Pour simplifier les choses, je souhaite l'instauration d'un seul index chiffré, qui pourrait s'intituler « intérêt thérapeutique », qui servirait aussi bien à l'assurance-maladie pour décider du remboursement et fixer le taux qu'au CEPS. Il intégrerait le rapport bénéfice-risque mais tiendrait compte de critères plus larges, comme la gravité de la maladie. Par exemple, dans le cas des médicaments contre la maladie d'Alzheimer, les traitements sont peu efficaces mais, comme c'est une maladie grave, on les rembourse quand même. Dans le domaine cardio-vasculaire, on peut se demander s'il est vraiment pertinent de rembourser la sixième statine. Le nouvel index, qui pourrait être créé par décret, tiendrait aussi compte de la praticité (une forme orale est plus pratique qu'une intraveineuse) et de certains sous-groupes de patients, qui peuvent répondre à un traitement. Enfin, il ne faut pas oublier l'innovation, qui mérite une prime, et le volet médico-économique de l'évaluation.
Justement, comment comptez-vous développer le rôle médico-économique de la HAS, comme le prévoit le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale ?
La loi de financement de 2008 nous avait déjà donné pour mission d'émettre des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes. Mais, effectivement, jusqu'à présent, nous avons surtout travaillé sur le médico-scientifique : comment mieux soigner. Compte tenu des contraintes économiques, il faut aujourd'hui se demander comment mieux soigner en gérant au mieux nos ressources.
La nouvelle loi prévoit que nous serons investis de cette mission au moment de la première inscription des médicaments et des produits de santé et, élément plus important, au moment de leur réévaluation, trois ou quatre ans après. Nous pourrons alors juger de l'impact économique du médicament dans la vraie vie, savoir combien de patients prennent ces traitements et évaluer leur véritable coût pour la collectivité.
Avez-vous un remède à la surconsommation de médicaments en France ?
Les Français continuent à consommer trop d'antibiotiques, trop de benzodiazépines pour dormir, etc. Il y a en outre trop de types de médicaments et certains (comme les statines) sont vendus trois fois plus cher en France qu'en Allemagne. Ajoutez au tableau que certains patients prennent des traitements dont ils n'auraient pas besoin. Dans ce contexte, la HAS joue un rôle en faisant des recommandations de bon usage. Le problème est qu'on ne sait pas qui les lit. A nous de les rendre plus lisibles pour les médecins et les patients, et de les faire appliquer. Nous avons décidé d'éditer des résumés pour les médecins et venons de lancer les recommandations « deux clics » pour aller dans le sens du développement d'Internet.
Mais pour que les recommandations soient appliquées, la meilleure solution est encore l'incitation. L'assurance-maladie a proposé une démarche intéressante, en instaurant des indicateurs de qualité, qui rapportent des points aux praticiens et les récompensent financièrement. Ils comportent une trentaine de critères et peuvent rapporter jusqu'à 9.000 euros par an aux médecins. Une convention avec les syndicats de médecins libéraux a été signée en ce sens l'été dernier.
Au-delà du coût des médicaments, les hospitalisations coûtent aussi très cher. Que peut faire la HAS ?
Nous certifions les 2.800 établissements de santé de France. La Direction générale de l'organisation des soins nous a aussi demandé d'étudier la pertinence des actes chirurgicaux. Nous allons en étudier quatre cette année (appendicectomie, amygdalectomie, libération du canal carpien et césarienne) et nous en prévoyons vingt pour 2012.Nous avons également des indicateurs qualité pour les établissements de santé. Là aussi, il faudrait que le patient en soit mieux informé.
De quels moyens supplémentaires disposerez-vous pour remplir vos nouvelles missions ?
La HAS est un établissement de 400 personnes doté d'un budget de 65 millions d'euros. Nous avons demandé une rallonge de 3 millions pour embaucher une trentaine de personnes.
Les traitements sont de plus en plus sophistiqués et de plus en plus chers. N'arrivera-t-il pas un jour où l'addition sera trop lourde pour la collectivité, avec le risque du développement d'une médecine à deux vitesses ?
En cancérologie, on a vu arriver de nombreux médicaments innovants, efficaces mais chers. Aujourd'hui, la courbe de découverte est moins rapide et le bénéfice apporté par un traitement ne doit pas être seulement marginal. Dans l'état actuel des ressources, le financement de la santé pose problème. Dans ce domaine, la France a un système très libéral, qui a toujours privilégié l'innovation. Mais, mathématiquement, la santé va coûter de plus en plus cher : comme les médicaments sont plus efficaces, les patients vivent plus longtemps et prennent des traitements plus chers sur de plus longues périodes. Quel que soit le résultat des élections de 2012, le futur gouvernement devra réfléchir à la prise en charge des maladies chroniques comme Alzheimer, le cancer ou le diabète, qui représentent près de 70 % des dépenses de santé, et voir comment on peut baisser les prix.
Quand allez-vous réévaluer les anticancéreux ?
Certains de ces traitements, très chers, n'apportent effectivement pas les bénéfices espérés. En 2011, nous avons réfléchi, avec l'Académie de médecine, à un cadre pour cette réévaluation. Nous allons peut-être nous autosaisir en 2012 d'un médicament ou d'une classe de médicaments anticancéreux.
Le concept « satisfait ou remboursé » pour un médicament, qui existe en Angleterre, est-il envisageable en France ?
Non. Le principe en France, c'est une obligation de moyens, pas de résultat. Jusqu'à présent, à la question de savoir s'il faut mettre en oeuvre, pour un patient, une stratégie thérapeutique meilleure mais plus chère, la France a toujours répondu oui.
Pourriez-vous refaire de la politique ?
Non ! J'ai arrêté fin 2010 en faisant le constat que l'on ne pouvait pas mener de front deux métiers à un haut niveau.