Revenant sur son propre parcours, Patrice Maniglier offre un panorama du paysage philosophique contemporain en France tout en réhabilitant le structuralisme et les penseurs des années 60 et 70, si décriés par les instigateurs du tournant réactionnaire.
Patrice Maniglier dans les locaux de Normale Sup, à Paris, en 2014.
Photo F. Juery
La difficulté de l’escalade ne nuit pas au plaisir qu’elle apporte à l’alpiniste, qui serait à l’inverse mortifié si on lui proposait d’être déposé au sommet par un hélicoptère. Les livres de philosophie sont parfois, eux aussi, escarpés, parce qu’ils exposent comme il se doit des choses complexes, ou bien, hélas !, cèdent au péché mignon d’ajouter à la complexité la complication d’un langage amphigourique. La Philosophie qui se fait, de Patrice Maniglier, non seulement évite soigneusement le second défaut, mais majore encore la première vertu par de réelles qualités «pédagogiques» et explicatives, à tel point qu’il crée comme une addiction, et de page en page – il y en a pourtant plus de 540 ! – creuse l’envie d’en savoir sur chaque point davantage. L’ouvrage offre en effet une extraordinaire «vue» sur le paysage philosophique contemporain, et les principales questions qui s’y manifestent, en partant de l’itinéraire intellectuel de son auteur, qui est aussi celui d’une génération de quadragénaires arrivée aux «affaires» théoriques et politiques quand disparaissaient les «grandes figures» de la pensée française. Au moment du «grand règlement de compte idéologique», de la «brutale liquidation» du «trésor spirituel», accumulé dans les années 60 et 70. Ou du «tournant réactionnaire» qui voulait «tout rétablir : rétablir les valeurs et l’autorité contre Mai 68, rétablir l’histoire événementielle contre l’histoire sociale et anthropologique, rétablir le politique contre l’économique […], rétablir le sujet contre la structure…».