Le 29 septembre dernier aux Cordeliers, à l’occasion de l’anniversaire des trente ans de la
mort de Jean Delay, a eu lieu un colloque intitulé : « Jean Delay aujourd’hui : Pour une
éthique du décloisonnement entre psychanalyse, psychiatrie et neurosciences ». J’y étais.
Difficile de me souvenir… mais c’était justement à propos de la mémoire, je crois !
Un vieux monsieur, prix Nobel, un certain Éric Kandel, qui avait été psychiatre, évoqua son
grand souci de l’avenir de la psychanalyse. Il avait bien connu la fille d’un célèbre
psychanalyste… mais c'était aux États-Unis et c’était Kris. Cherchant l’inscription cérébrale
de l’inconscient freudien, il avait, chemin faisant, dit-il, découvert certains mécanismes de la
mémoire cognitive et de l’oubli. Selon lui, une seule voie de salut pour la psychanalyse :
consentir à s’évaluer scientifiquement et localiser la causalité psychique dans le neurone. En
bon conférencier américain, il amusa son public : pour entretenir sa mémoire, avant il
nageait, désormais il marche – à cause d’une hormone qui vient des os, expliqua-t-il. C’est
surtout ce qui me reste de son propos : il avait voulu nous faire marcher.
Bien que le colloque annonçât un rapprochement des neurosciences et de la
psychanalyse, deux neuroscientifiques intervenaient à sa suite. Le premier, Raphaël Gaillard,
regard glacé, responsable de la psychiatrie universitaire dans un CHU parisien, expérimente
sur des souris kétaminées qu’il compare, paraît-il, à des humains schizophrènes. Ses théories
complexes sur la conscience des rongeurs et la suppression des souvenirs s’appliqueraient à
l'homme. Comme il a publié avec Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil Scientifique de
l’Éducation Nationale, il m’a fait un peu peur. Certes, il n’a pas dit que les humains sous
kétamine ressemblent à des souris, mais j’ai réprimé une image horrible : nos enfants traités
en rats de laboratoire. Le second, John-Dylan Haynes, plus chaleureux, a interagi avec le
public, mais pas pour rire – il n’est pas américain – : il s’est s’étonné qu’une bonne moitié de
l’assistance (à l’instar du grand public, note-t-il) ne croie pas à l’inscription cérébrale de
l’esprit et qu’on puisse encore être dualiste. Il lit dans nos pensées à l’aide de l'IRM et espère,
dans vingt ans, en savoir assez sur le libre-arbitre pour contrecarrer « 2500 ans de
philosophie ».
Candide aux Cordeliers
par Pierre Sidon
Le 29 septembre dernier aux Cordeliers, à l’occasion de l’anniversaire des trente ans de la
mort de Jean Delay, a eu lieu un colloque intitulé : « Jean Delay aujourd’hui : Pour une
éthique du décloisonnement entre psychanalyse, psychiatrie et neurosciences ». J’y étais.
Difficile de me souvenir… mais c’était justement à propos de la mémoire, je crois !
Un vieux monsieur, prix Nobel, un certain Éric Kandel, qui avait été psychiatre, évoqua son
grand souci de l’avenir de la psychanalyse. Il avait bien connu la fille d’un célèbre
psychanalyste… mais c'était aux États-Unis et c’était Kris. Cherchant l’inscription cérébrale
de l’inconscient freudien, il avait, chemin faisant, dit-il, découvert certains mécanismes de la
mémoire cognitive et de l’oubli. Selon lui, une seule voie de salut pour la psychanalyse :
consentir à s’évaluer scientifiquement et localiser la causalité psychique dans le neurone. En
bon conférencier américain, il amusa son public : pour entretenir sa mémoire, avant il
nageait, désormais il marche – à cause d’une hormone qui vient des os, expliqua-t-il. C’est
surtout ce qui me reste de son propos : il avait voulu nous faire marcher.
Bien que le colloque annonçât un rapprochement des neurosciences et de la
psychanalyse, deux neuroscientifiques intervenaient à sa suite. Le premier, Raphaël Gaillard,
regard glacé, responsable de la psychiatrie universitaire dans un CHU parisien, expérimente
sur des souris kétaminées qu’il compare, paraît-il, à des humains schizophrènes. Ses théories
complexes sur la conscience des rongeurs et la suppression des souvenirs s’appliqueraient à
l'homme. Comme il a publié avec Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil Scientifique de
l’Éducation Nationale, il m’a fait un peu peur. Certes, il n’a pas dit que les humains sous
kétamine ressemblent à des souris, mais j’ai réprimé une image horrible : nos enfants traités
en rats de laboratoire. Le second, John-Dylan Haynes, plus chaleureux, a interagi avec le
public, mais pas pour rire – il n’est pas américain – : il s’est s’étonné qu’une bonne moitié de
l’assistance (à l’instar du grand public, note-t-il) ne croie pas à l’inscription cérébrale de
l’esprit et qu’on puisse encore être dualiste. Il lit dans nos pensées à l’aide de l'IRM et espère,
dans vingt ans, en savoir assez sur le libre-arbitre pour contrecarrer « 2500 ans de
philosophie ».
J’ai enfin respiré à nouveau grâce à Catherine Malabou, philosophe, qui distingue la
trace psychique et la lettre de la trace neuronale : « les arrangements neuronaux ne sont pas
une grammaire : on ne décrypte pas l’histoire d’un individu dans ces structures visibles ».
Elle a cité François Ansermet et Pierre Magistretti dont les noms ont résonné toute la
journée, et aussi Lacan, avant de conclure lapidairement : « Est-ce que l’inconscient n’est
pas devenu ce que Freud craignait : le non-conscient ? » Pertinent !
On a entendu ensuite un professeur de psychologie, Olivier Houdé, comparer
l’apprentissage à « la psychothérapie » en utilisant la métaphore – mais en était-ce vraiment
une ? – des réseaux neuronaux.