ENQUÊTEL’agresseur sexuel d’enfants a longtemps bénéficié d’une grande tolérance sociale. La sensibilité démocratique, l’attention à l’enfant et la quête de l’égalité hommes-femmes ont progressivement mis fin, aux XIXe et XXe siècles, à cette indifférence.
C’est l’histoire de Marie, une « fille d’hospice » de 9 ans placée comme servante dans les années 1820, chez un cultivateur de l’Hérault. Logée dans un grenier à foin, elle se consacre à son labeur mais elle est violée par le fils de la maison dans sa chambre de fortune, puis, dans un abri de montagne. Le jeune homme de 22 ans est si brutal et ses assauts si nombreux que Marie se met à claudiquer : elle est finalement renvoyée au motif qu’elle ne peut plus « faire son ouvrage ».
Parvenus tardivement à la justice, les faits ne mettent nullement le jury en émoi : s’il consent à reconnaître un attentat à la pudeur avec violence, il est surtout indigné par l’outrage public à la pudeur – l’un des viols a eu lieu dans un pré où un passant, comble d’immoralité, aurait pu les apercevoir.
Ce récit du XIXe siècle, cité par Anne-Claude Ambroise-Rendu dans son Histoire de la pédophilie (Fayard, 2014), nous raconte le long chemin parcouru depuis bientôt deux cents ans en matière d’agressions sexuelles sur mineurs : parce qu’elle mêle intimement l’histoire du corps et de la morale, la pédophilie n’a pas toujours suscité une forte réprobation sociale. Si l’histoire de Marie illustre, pour les lecteurs du XXIe siècle, l’infinie perversité d’un adulte prédateur et l’immense souffrance d’un mineur innocent, les citoyens du XIXe siècle y voient tout autre chose : ils redoutent l’offense inconvenante aux bonnes mœurs, ils soupçonnent l’enfant de corruption morale, ils confondent dans une même indignité l’agresseur et l’agressé.