C’est le dernier grand tabou de notre société : les violences sexuelles faites aux mineurs dans le cadre familial. Ces dossiers arrivent à la section « intra » de la BPM, là où les policiers se battent pour les sortir de l’ornière judiciaire du parole contre parole. « Le Monde » a pu y passer plusieurs jours.
Elle a de longs cheveux bruns attachés par un élastique, remontés par des barrettes roses. Une veste beige, une robe, des collants violets et des baskets blanches. Ce jour de septembre, la caméra de la salle d’audition de la brigade de protection des mineurs (BPM) de la police judiciaire de Paris filme Louise (tous les prénoms des victimes ont été modifiés) en gros plan. Elle a 5 ans. Sa mère, qui soupçonne des agressions sur sa fille, l’a accompagnée. L’enquêtrice commence : « Tu sais pourquoi on est là Louise ? » « Non, je ne sais pas », répond-elle, un peu évanescente. « On est là pour avoir une discussion, pour que tu dises la vérité. Tu sais ce que c’est la vérité ? », poursuit la policière. « C’est dire ce qui est vrai, et le mensonge ce n’est pas vrai », explique Louise. « Qu’est-ce que tu fais comme activités Louise ? » « Du cirque, de l’escalade, de la danse, de la chorale », énumère l’élève de grande section de maternelle, presque souriante. Ses mains cherchent le mur auquel elle est adossée. Ses jambes se croisent et se décroisent.
« Comment c’est ta chambre à Paris ? », continue l’enquêtrice. « J’ai ma chambre, et il y a un tapis multicolore, comme ici », décrit-elle en montrant le tapis chatoyant qui tente de réchauffer une pièce où des faits si traumatisants sont verbalisés. « Est-ce que tu t’entends bien avec maman ? » « Oui. » « Et avec papa ? Tu peux me dire des choses. S’il y a des choses qui te dérangent ?… », esquisse la policière. La petite fille se cambre, puis se balance sur le banc. Elle dit : « Tu vois les chaises là, eh bien j’ai les mêmes à la maison. » Premier changement de sujet de Louise.