“Comment vas-tu point d’interrogation”
La lecture de la semaine est un article du New York Times, signé Nick Wingfield et il s’intitule : “Le bon vieux temps des malotrus accrochés à leur téléphone portable”.
Est-ce que parler au téléphone est la même chose que parler à son téléphone ? se demande pour commencer le journaliste.
Le bruit produit par quelqu’un discutant sur un téléphone portable fait partie de la bande-son de notre vie quotidienne, et la plupart d’entre nous a appris à être silencieux – ne pas parler dans les wagons zen des TGV par exemple. Mais les règles de savoir-vivre concernant la manière dont on s’adresse à un téléphone – et plus précisément à un “assistant virtuel” comme le Siri d’Apple, disponible sur le nouvel Iphone 4S – n’existent pas encore, pour le malheur des gens qui sont autour. D’abord parce que les conversations avec des machines ont un aspect mécanique et troublant. Ensuite il y a un problème de ponctuation : si vous voulez une marque de ponctuation, il faut la nommer. “Comment va-t-il point d’interrogation comment vas-tu point d’interrogation”, Jeremy Littau s’est récemment retrouvé dire cela alors qu’il marchait dans la rue en dictant un texto à sa femme qui était restée chez eux avec leur nouveau-né. La machine Siri lui parlait avec sa voix synthétique et féminine. Les passants étaient stupéfaits : “Ce n’est pas un comportement humain normal d’entendre quelqu’un avoir une conversation avec son téléphone dans la rue”, conclut Jeremy Littau qui est professeur-assistant de journalisme et communication à l’université de Lehigh.
La technologie des téléphones portables à commande vocale existe déjà depuis quelques années – elle permet aux gens de donner des ordres à leur téléphone comme à un factotum numérique, de lui dicter un texto, de noter un rendez-vous sur leur agenda ou de chercher le restaurant de sushi le plus proche. Néanmoins, avec Siri, Apple a franchi une étape supplémentaire. “Bon anniversaire smiley”, c’est ce que Dani Klein a entendu dire par un homme à son téléphone sur Long Island Rail Road, ce monsieur voulant insérer un émoticon dans un texto. “C’était ridicule”, explique Klein, 28 ans, qui travaille dans le marketing sur les réseaux sociaux. Parler à son téléphone est tellement nouveau qu’il n’y a pas encore de règle établie, dans les transports en commun en particulier.
La commande vocale dans les smartphones est d’abord apparue il y a quelques années quand certains appareils ont permis de faire des recherches sur Internet et quelques autres tâches. Mais le Siri d’Apple, introduit cet automne, est une version beaucoup plus sophistiquée de cette technologie, il répond à des phrases apparemment normales comme “Quel temps fait-il ?” ou “Réveille-moi à 8h”. Apple a aussi donné une once de personnalité à Siri, renforçant l’impression des usagers de l’Iphone qu’ils sont vraiment en train de parler à quelqu’un. Demandez à Siri quel est le sens de la vie et il vous répondra : “Je trouve étrange que vous posiez cette question à un objet inanimé”. Pour autant, “je ne crois pas que le clavier va disparaître”, expliquait Martin Cooper qui a développé le premier téléphone portable pour Motorola dans les années 70.
Un autre aspect irritant qu’il y a à écouter des gens parler à leur téléphone est que la plupart des choses que l’on fait avec des commandes vocales peut aussi être fait dans le silence. Billy Brooks, 43 ans, faisait récemment la queue chez un concessionnaire automobile à Los Angeles quand une femme a rompu le silence dans la pièce pour dicter un message à son Iphone : “Vous gênez inutilement les gens alors que vous pourriez tout simplement taper votre message”, dit Brooks, ajoutant que le comportement de cette femme était “ridicule et un peu pathétique”. James E. Katz qui dirige le Centre d’étude sur la communication mobile à Rutgers dit que les gens qui utilisent les commandes vocales de leur téléphone créent une gêne pour les autres – du bruit – au lieu de s’en infliger une à eux-mêmes – l’inconfort de taper lentement un message sur leur clavier. M. Katz compare ce comportement avec celui de quelqu’un qui laisserait tourner le moteur de sa voiture alors qu’il est garé, provoquant du bruit et des émissions de carbone.
Bien qu’Apple ait tenté de rendre possible une conversation presque naturelle avec Siri, le résultat est souvent inverse. Nirav Tolia, entrepreneur numérique, était dans un ascenseur bondé qui l’emmenait jusqu’à son bureau à San Francisco quand un homme a essayé d’utiliser Siri pour trouver la nouvelle adresse d’un café, le Coffee Bar. Le téléphone lui a donné une liste de café – pas les bons – l’obligeant à réitérer sa demande à plusieurs reprises. “Eh mec, t’as qu’à dire Starbuck”, a fini par lui dire un passager quand les portes de l’ascenseur se sont ouvertes. En parlant à leur téléphone, les gens finissent même par avoir des airs de machines. Jimmy Wong, 24 ans, était dans un restaurant à Los Angeles avec des amis quand ils se sont retrouvés à côté d’un homme qui demandait à Siri de prendre des notes et d’écrire des mails. Ils ont trouvé la conversation de l’homme avec son téléphone “flippante”, dénuée de toute pause naturelle dans la diction et des inflexions de voix qui marquent une conversation entre deux personnes. “C’est très mécanique”, ajoute-t-il. Et le groupe n’a pas pu s’empêcher d’écouter. Les gens qui étudient le comportement des usagers de téléphone portable pensent que la conscience qu’on a, dans les hôtels, les aéroports ou les cafés, qu’on est en train d’entendre des gens parler à leur assistant numérique, disparaîtra avec le temps. “Nous verrons une évolution de l’irritation première, qui donnera lieu à un dessin satirique dans le New Yorker, mais au bout d’un moment ce sera globalement accepté”, explique M. Katz. Mais, prédit-il, “il y aura toujours une petite minorité de conservateurs qui pleureront le bon vieux temps où les gens écrivaient leur texto quand ils étaient en public”.
Xavier de la Porte